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le Vendredi 19 Décembre 2003 0:00 Le 17 décembre 2003

L’eau: bien public ou marchandise?

L’eau: bien public ou marchandise?
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Ricardo Petrella est président de l’Université européenne de l’environnement et fondateur du Comité international pour le Contrat mondial de l’eau. Photo courtoisie.

Croyez-vous qu’en 2020 tous les humains de la planète auront accès à de l’eau potable? Voilà la première question à réflexion qu’a posée le conférencier lors de sa visite à Gatineau le 25 novembre dernier. M. Petrella est un éminent politicologue et économiste qui est haut fonctionnaire à la Commission européenne en matière de sciences et de technologie, Président de l’Université européenne de l’environnement et récemment fondateur du Comité international pour le Contrat mondial de l’eau, son nouveau cheval de bataille.

Avec 1,4 milliard d’êtres humains qui n’ont pas accès à de l’eau potable aujourd’hui, cette ressource que Ricardo Petrella considère comme « un patrimoine mondial au même titre que l’air et le soleil », est en train de devenir un enjeu important pour les peuples du XXIe siècle.

M. Petrella dit voir maintenant une « appropriation » de cette ressource vitale par les États du monde. Et comme c’est la tendance dans la politique mondiale actuelle, la nationalisation devient plus souvent qu’autrement une privatisation.

Selon M. Petrella, les États commenceront par déléguer la gestion de l’eau aux entreprises, celles-ci développeront une expertise et pourront prendre contrôle en douce de cette ressource comme cela a été le cas pour le pétrole. Avec une privatisation de la politique de la gestion de l’eau, nous subirons par le fait même une perte du contrôle de la population sur l’utilisation de cette ressource. Autrefois source de vie (lieu de naissance des premières cellules vivantes), l’eau pourrait devenir source de conflits importants au XXIe siècle.

?Militarisation’ de l’eau

Le XXe siècle a été sans contredit le siècle de « l’or noir », le pétrole a été certainement la plus recherchée et la plus lucrative de toutes les ressources au siècle dernier, rappelle Ricardo Petrella. Et qui dit argent, dit source de conflit: « Nous n’avons qu’à penser à la dernière guerre en Iraq sur laquelle il ne fait plus de doutes que le pétrole était la première raison d’intervention américaine en ce pays. Même les Américains ne croient plus à la thèse de leur président, que c’était pour désarmer l’Iraq ».

Voici que l’eau pourrait devenir « l’or bleu » du XXIe siècle. Nous n’y pensions pas souvent avant que le robinet commence à cracher de l’air, mais l’eau est plus qu’un rafraîchissement par temps chaud, elle est des plus essentielles, soutient M. Petrella. Ne pensons qu’aux barrages hydroélectriques, à l’agriculture et à la pêche. Il est donc compréhensible de voir les pays industrialisés du Nord vouloir s’en accaparer.

De 1985 à 2000, la Turquie a utilisé les bassins qui alimentent le Tigre et l’Euphrate pour bâtir des barrages et pour l’agriculture, ce qui a diminué de 50% le débit de ces deux fleuves en Syrie et en Iraq, « ce qui a sans contredit accentué les tensions entre ces États ». M. Petrella nous indique que les pays qui auront le plus de problèmes d’approvisionnement en eau potable dans le futur, entre autres dû à leur forte population et à leur position géographique, seront la Chine, l’Inde et les États-Unis.

La Chine et l’Inde étant entourés principalement d’océans et de montagnes n’ont pas beaucoup d’alternatives, alors que les États-Unis sont entourés entre autres’ par le Canada qui a des ressources importantes d’eau douce. Les Canadiens seront-ils les Arabes du XXIe siècle?

Marchandisage de l’eau

« Nul besoin d’expliquer en détail les raisons pour lesquelles les États-Unis font pression pour faire de l’eau une marchandise dans le cadre de l’ALENA: ils ont peur d’en manquer! », rappelle Ricardo Petrella.

De surcroît, les autres pays pourront en manquer éventuellement et l’eau pourrait prendre alors une valeur importante, si l’on peut lui donner une valeur. En effet, l’eau est essentielle et contrairement au pétrole on ne peut pas vivre sans elle, alors commercialiser l’eau ne revient-il pas à commercialiser de la vie?

La banque suisse privée Pictet, où l’on peut maintenant investir dans des fonds sur ?l’or bleu », prévoit que le secteur privé vendra de l’eau en 2015 à près de 1,7 milliard de personnes. Est-ce que les Africains pourront vraiment se payer des bouteilles d’eau à deux dollars le litre? Le prix de l’eau au litre est déjà plus élevé que celui de l’essence, souligne M. Petrella.

L’agriculture peut-elle prévenir le gaspillage?

Le secteur agricole est un grand consommateur d’eau, car tout comme l’homme, la plante a besoin d’eau pour pousser. Mais M. Petrella voit entre autres des efforts qui peuvent être fait au niveau de l’efficacité de l’irrigation. Certains systèmes actuels (par les airs) entraînent des pertes de plus de 40% de l’eau qui s’envole ou s’évapore tout simplement.

Des systèmes qui apportent l’eau directement à la base des plantes comme des systèmes goutte-à-goutte permettraient des économies incroyables en eau et éventuellement en argent si les gouvernements ne font pas front à la privatisation d’une ressource éminemment publique.

En Ontario, on a pu constater dans le discours du trône du nouveau gouvernement libéral le désir d’arrêter la vente d’eau douce de la province vers les États-Unis, processus de privatisation qui avait été mis en branle par le gouvernement précédent. Mais est-ce que ce sera une promesse tenue comme pour celle du gel du prix de l’électricité?