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le Mercredi 17 novembre 2004 0:00 Le 17 novembre 2004

Une expérience inoubliable

Une expérience inoubliable
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Ce matin, nous sommes à la fin octobre. Le vent est à l’Est, nous indiquant que c’est probablement la dernière journée de soleil avant la prochaine pluie. J’ai mis quelques rondins dans le vieux Bélanger, histoire de chasser l’humidité. Puce, pour sa part, est déjà de retour de sa petite promenade autour des bâtiments. Moi je me prépare à lire le journal, tout en prenant mon lait de poule et ma soupane.

Je suis plongé dans ma lecture lorsque le téléphone sonne. C’est Mélissa Racine. Elle veut venir faire une marche au bois et faire un pique-nique avec moi, question de parler de l’expérience qu’elle a vécue cette année avec la troupe des noces d’Antoine et Corine.

Elle me dit: Le Père Itoine vous n’avez rien à préparer, je vais apporter le goûter, je vais être chez vous vers 11h30.

Moi, j’en suis très heureux! J’étais pour aller au bois de toute façon, car lorsqu’il fait beau soleil comme ça, c’est plus fort que moi, je vais au bois avec mon vieux St Bernard Puce.

Je termine donc de déjeuner et de lire mon journal et je vais m’asseoir dans ma balançoire en attendant Mélissa. Il fait superbement beau, les dernières feuilles de mon gros érable tombent une à une. Les geais bleus et les petites mésanges se payent la traite dans la mangeoire. C’est plein de vie tout autour de moi.

Chez mon voisin Ansème, une grosse batteuse est à récolter le maïs. Cela a bien changé depuis mon temps. Aujourd’hui, un gros chariot tiré par un tracteur s’avance près de la batteuse en marche. L’opérateur de la batteuse actionne la vis sans fin qui permet de transvider la batteuse au chariot? tout ça sans s’arrêter. Par la suite, le chariot va vider son contenu dans un grand transport stationné sur la route. C’est rendu comme dans l’Ouest canadien!

Mon garçon Jean Paul, qui est gérant d’une grosse coopérative là-bas, me disait que dans l’Ouest, le transport suit la batteuse qui se vide directement dans le transport. Les champs sont à perte de vue.

Va falloir que j’écoute ma fille Monique et que je retourne à Saskatoon là où est Jean Paul. Ça lui ferait tellement plaisir si je retournais. Ça doit avoir bien changé depuis que j’y suis allé la dernière fois, en 1999.

Le soleil est bon. Ça réchauffe mes vieux os. Faut dire que je suis à l’abri du vent. Je suis perdu dans mes rêvasseries lorsque j’entends au loin une voiture qui fait plein de poussière: c’est la petite Mélissa qui fonce à fond de train vers la maison.

? Bonjour Père Itoine! Comment ça va? Je me présente. Je suis Mélissa Racine, la fille de Louis et Louise. J’ai eu le privilège de jouer dans la comédie musicale Les noces d’Antoine et Corine et je viens partager avec vous l’expérience extraordinaire que j’ai vécue. Si vous êtes prêt, on pourrait aller prendre une marche au bois et je vais vous raconter ce que j’ai vécu.

? Je suis presque prêt, le temps de prendre ma canne et on va amener Puce mon gros chien St Bernard.

? Je vais dans l’auto chercher mon panier dans lequel j’ai apporté de quoi casser la croûte au bois et je suis prête moi aussi.

Nous voilà partis pour le bois, Mélissa une belle grande jeune fille, le vieux Puce et moi.

? Je suis très content que tu prennes le temps de venir partager avec moi ton expérience.

Chemin faisant, les voiliers d’outardes fendent l’air. Certaines sont à bouffer le maïs tombé de la batteuse, signe que l’hiver va bientôt être à nos portes.

? Père Itoine, il va faire super beau pour aller pique-niquer au bois. Cela faisait plusieurs jours que je voulais vous appeler, je suis tellement contente d’être là! Vous savez, je prends des cours de musique à Ste-Thérèse et je suis très occupée.

Après une bonne marche de 20 minutes, on arrive au bois. Ça sent bon l’odeur du sous‑bois. Je propose à Mélissa un endroit que j’affectionne pour que l’on puisse manger à l’abri du vent tout en ayant le soleil pour nous réchauffer. Pour table nous avons une grosse souche de pin sur laquelle Mélissa étend une belle nappe et nous voilà installés.

Je sais que la petite est une fille de bois juste de la façon qu’elle observe la nature. Elle prend le temps de s’imprégner de ce qui l’entoure.

Après quelques secondes, elle me dit: Êtes-vous prêt pour casser la croûte? Sûrement, que je lui réponds. Mais dis-moi, tu voulais me parler des Noces d’Antoine et Corine.

? Bien voilà. Le tout a commencé lorsque que Jean-Marie et Lucie Séguin ont appelé mon père Louis pour voir si nous étions intéressés à faire partie de la distribution des Noces d’Antoine et Corine. Ils avaient besoin de toute la famille, mon père, ma mère, ma s’ur et mes deux frères. Toute une commande. Mais mon père, qui est folkloriste, ça lui tentait beaucoup, donc on a accepté. Et puis, ça prenait des musiciens, ça tombait bien: ma s’ur Krystel et moi, on était intéressées. On se disait, ça va être le fun, on va être comédiennes et musiciennes. Super!

? On nous a fait parvenir nos textes que nous devions apprendre par c’ur durant les Fêtes. Et la trame sonore de toutes les musiques. Cela nous donnait un mois avant que les pratiques commencent au début janvier. Je vous raconte tout ça et je n’ai rien sorti pour manger excusez-moi je suis partie à raconter. Je suis très jaseuse vous savez. J’ai fait de beaux sandwichs et une salade avec une bonne limonade si cela vous va.

Sûrement, que je lui réponds, surtout que Puce aussi a l’air d’avoir faim, même que quelques petits écureuils s’approchent de nous. Ils sont curieux. Eux aussi travaillent fort pour faire leurs provisions pour l’hiver qui approche.

? Mais dis-moi, Mélissa, les comédiens que les Séguin avaient recrutés, est-ce qu’ils en étaient à leurs premières armes au théâtre?

? Oui, qu’elle me répond, tous sont agriculteurs ou dans le secteur agroalimentaire et n’avaient jamais joué au théâtre avant. Ça été toute une commande pour la metteure en scène Julie Henri qui était bien découragée au début. Après plusieurs pratiques à l’église de St‑Pascal, le tout commença à prendre forme.

? Mélissa, raconte-moi donc comment ça s’est passé à la première représentation.

? Ouf! Tout le monde était très nerveux. C’était le 27 mars 2004, le banquet d’ouverture des fêtes du 75ième de l’Union des cultivateurs franco-ontariens. La salle était remplie à craquer, plus de 400 personnes, sous la présidence d’honneur de la ministre des Affaires francophones, Madame Madeleine Meilleur et de Pierre Glaude.

? La tension était palpable, je vous le dis, Père Itoine. Julie nous a réunis pour faire une dernière mise au point juste avant la pièce et elle nous a dit qu’elle avait confiance en nous et nous souhaitait bonne chance. Après plus de deux heures et demie de spectacle, le rideau est finalement tombé sur la dernière chanson « Mon beau drapeau ». Les gens se sont levés pour applaudir. Nous avions rempli notre mission. Nous étions tous épuisés, mais combien heureux d’avoir relevé le défi. Nous avions une semaine avant de présenter à nouveau le spectacle à Ste-Anne-de-Prescott, le 3 avril.

Je lui dis que la troupe de théâtre formée de cultivateurs avait relevé magistralement le défi.

? Nous prenions de plus en plus d’assurance et nous avions même du plaisir, qu’elle me répond. Mais voilà, il fallait faire relâche pour l’été car les agriculteurs ont beaucoup de boulot à faire durant cette période de l’année. Julie nous a dit de relire notre texte durant l’été car si on ne le faisait pas, ça serait à recommencer à l’automne.

? Père Itoine, combien elle avait raison! La première pratique au début de septembre a été l’enfer! On a dû mettre les bouchées doubles pour être prêts pour la représentation suivante à St-Albert, le 24 septembre. Puis à St-Pascal, on a fait deux représentations.

? Il vous reste juste la représentation à St Isidore, le 9 octobre?

? Oui! Et toujours à guichet fermé, le Père, on va jouer pour la dernière fois la comédie musicale Les Noces d’Antoine et Corine. C’est avec une certaine tristesse, voire même un pincement au c’ur, que la troupe s’apprête à jouer pour la dernière fois. Après plusieurs supplémentaires et plus de 2000 spectateurs, le rideau va tomber sur ce qui a été une aventure extraordinaire. Il s’est créé une amitié entre les membres de la troupe qui va sûrement persister pour les années à venir!

La famille Séguin doit être remerciée pour avoir écrit le scénario et fait le choix musical, que je lui dis.

Elle me confie que les gens lui ont dit avoir revu toutes les batailles qu’ils ont dû vivre comme le règlement 17, le Collège d’Alfred et bien évidement la naissance de l’Union des cultivateurs franco-ontariens en 1929.

? Tout ça autour de votre histoire personnelle, Père Itoine, quand vous êtes arrivé avec vos parents de Ste-Scholastique pour vous installer à St-Pascal. C’était ça ou aller travailler dans les manufactures aux États-Unis.

Je lui dis que la pièce de théâtre a été sûrement l’un des points forts des activités du 75ième de l’Union des cultivateurs.

? Une quarantaine de personnes ont été impliquées dans la pièce, musiciens, choristes, comédiens, techniciens de son et lumière, maquilleuses et décors. Bref toute une équipe avec qui j’ai eu énormément de plaisir, me répond-elle.

? Comment trouvez-vous mon pique-nique, Père Itoine.

? Pas mal, ma fille. Même Puce et les petits écureuils semblent l’apprécier.

? Le temps passe très très vite. Il est déjà temps de retourner, car moi je dois partir pour Montréal ce soir.

On ramasse le tout et on prend le chemin du retour. Déjà le soleil baisse. Il va faire noir à cinq heures. Chemin faisant, je lui dis que je suis très heureux de savoir que c’est elle qui jouait le rôle de ma petite fille Estelle.

? Monique m’a dit que tu étais très bonne, et je suis très heureux que l’on ait pensé à écrire une pièce de théâtre traitant de moi et de Corine. Toute notre vie, nous avons bataillé pour faire avancer des projets tels les caisses populaires, les coopératives, le Collège d’Alfred, etc.

? Je vous donne la bise, Père Itoine, et je me considère très chanceuse d’avoir fait partie de la distribution des Noces d’Antoine et Corine et de venir partager avec vous mon bonheur.

Sur ces paroles, elle prend le volant de sa voiture et disparaît dans un grand nuage de poussière, tout comme dans la pièce.

Je pense que l’Union des cultivateurs franco-ontariens a préparé des fêtes dignes d’un 75ième anniversaire. Le tout débuta par l’assemblée annuelle, suivi du banquet d’ouverture le 27 mars dernier à Embrun. Ensuite, journée champêtre sur le site de l’Union avec 300 personnes, suivi de la journée portes ouvertes à la ferme du président Pierre Bercier avec plus de 350 personnes, ainsi que six représentations de la comédie musicale. Toute une année.

Félicitations au président des fêtes du 75ième, Étienne Séguin et à toute son équipe! Ils ont fait un très bon travail et doivent sûrement déjà penser au centième de l’Union.

Encore une fois BRAVO!

Itoine