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le Mercredi 3 septembre 2008 0:00 Volume 26 Numéro 2 Le 3 septembre 2008

Messieurs les penseurs, ne faites pas reculer l’agriculture canadienne !

Messieurs les penseurs, ne faites pas reculer l’agriculture canadienne !
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Dans le journal Les Affaires du 16 août 2008, a paru sur deux pages face à face, un pour et contre sur la gestion de l’offre.

Défendant le côté « pour » avec charme et politesse, Guylaine Gosselin, directrice générale de la Fédération des producteurs de lait du Québec.

Du côté « contre », Marcel Boyer, un économiste de l’Institut économique de Montréal : un groupe de réflexion, un autre penseur?

Eh bien! Je n’ai jamais vu un groupe de réflexion si peu réfléchi!

Ce sont des types penseurs qui disent avoir des emplois à temps plein en travaillant 37,5 heures par semaine? J’ai travaillé ça 37,5 heures toute ma vie dans mes fins de semaine comme producteur laitier!

Parlons surtout du lait, un domaine que je connais le mieux. D’après les penseurs, les consommateurs payent trop cher pour leurs produits laitiers, comparé aux Américains. La différence, je vous l’explique : c’est que le prix payé au Canada est le prix réel.

Les six cent millions fictifs « trop payés » au Québec soi-disant par les consommateurs se traduiraient par 600 millions et plus en subventions.

Une visite en Arizona ouvre les yeux à voir des troupeaux de 5000 vaches nourries au chocolat, déchets d’orange et surplus de coton et où les producteurs recevaient plus pour leur lait avec subventions que les producteurs canadiens.

Faut pas être fin penseur pour nous comparer à la Nouvelle-Zélande et à l’Australie. Dans ces pays, la saison de croissance est de 365 jours, comparé à 90 jours chez nous ! Ils reçoivent quatre fois le rendement de la terre que chez nous ! 400% plus de subventions du ciel ; pas besoin de machineries agricoles, puisqu’on n’y fait aucun fourrage ; aucun bâtiment, puisqu’il n’y a pas d’hiver ; pas besoin d’entreposer de fourrage, etc.

Donnez-moi ces conditions et vous pouvez couper le prix de mon lait en deux.

En réduisant les tarifs frontaliers, le lait américain va envahir notre marché et avec raison, le producteur américain reçoit sa subvention de 28¢ le litre du Farm Bill. En plus, il reçoit une subvention des Canadiens : oui, le Canada est le plus grand fournisseur de pétrole aux États-Unis et en 2006, la vérificatrice générale, Mme Sheila Fraser, reprocha à l’Alberta de prendre moins de 5 $ de royauté par baril de pétrole exporté quand le prix mondial n’était qu’à 75 US$.

L’agriculteur américain paye 25 % moins pour ses besoins en énergie que le Canadien. Dans le magazine agricole The Cooperators du Manitoba au printemps 2007, on pouvait lire que les agriculteurs manitobains se révoltaient du fait que l’engrais nitrate se vendait 200$ la tonne moins cher au Dakota, l’état voisin, qu’au Manitoba. Le nitrate en question est fabriqué avec du gaz naturel produit en Alberta ! ! !

Un travailleur mexicain me confiait fièrement qu’il gagnait 4,75 $ par jour et s’il travaillait 14 jours consécutifs sans manquer, on lui donnait 70 $. Comparez cela aux normes de travail exigées au Canada, surtout au Québec et en Ontario : comment peut-on adhérer à la mondialisation ?

J’aimerais rappeler aux penseurs l’épisode où la frontière américaine s’est vue fermée au boeuf canadien en 2003, pour protéger leur production en faisant croire que c’était en raison de la vache folle. Pas de tarifs ? fermée totalement la frontière.

À ce moment-là, des vaches de 1700 livres que j’ai vendues 2 sous la livre (total de 34 $) se revendaient au détail en magasin 2400 $ ? aucun changement ! Ce stratagème a presque détruit l’industrie du boeuf canadien.

En d’autres mots, si les producteurs laitiers canadiens donnaient leur lait comme les producteurs de boeuf l’ont fait en 2003, les prix du lait demeureraient inchangés au magasin pour les consommateurs.

Non, mais nos penseurs sont vraiment innocents de croire que si on démantelait la gestion de l’offre, les prix baisseraient pour le consommateur avec des produits importés. Le passé nous prouve le contraire et Mme Gosselin le rappelle en disant que c’est dans les pays où la gestion de l’offre a été abolie (« déréglementée »), que les prix à la consommation ont le plus augmenté.

Vérifiez au Royaume-Uni l’industrie laitière depuis la déréglementation est hautement subventionnée et même en voie de disparition et les prix aux consommateurs ont terriblement augmenté.

Avez-vous pensé à la qualité du lait, les exigences en termes de soins aux animaux, à l’environnement, aux hormones de production interdites au Canada, hormones que je rend responsable en partie pour le problème d’obésité aux États-Unis.

Si vous importez le lait au Canada, j’arrête d’en boire, c’est aussi simple que ça !

Je me demande si on pourrait pas importer des fonctionnaires et des penseurs du Brésil ou de la Chine, tout probablement qu’on les aurait à une fraction du prix, qu’ils travailleraient plus que 34-37,5 heures par semaine et seraient tout probablement assez bons penseurs pour reconnaître et encourager le système et les producteurs qui leur apportent le lait à leur table.

De grâce, messieurs les penseurs, ne faites pas reculer l’agriculture canadienne. Ce sont tous les Canadiens qui en paieraient le prix !