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le Vendredi 18 novembre 2016 10:01 Volume 34 Numéro 07 Le18 novembre 2016

L’aide fédérale pour les producteurs laitiers, un programme mal ciblé et trop spécifique

L’aide fédérale pour les producteurs laitiers, un programme mal ciblé et trop spécifique
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On ne peut pas être contre une aide du gouvernement pour pallier à un sacrifice qui est fait de la part des producteurs laitiers pour offrir des débouchés commerciaux importants à de nombreuses industries du secteur agricole du Canada, dont celles du porc, du bœuf, du sirop d’érable, de l’horticulture et des produits transformés.  Cependant dans la formulation de son programme fédéral annoncé le 10 novembre, le gouvernement est selon moi à côté de la cible pour différentes raisons.  On conclut trop vite à la faiblesse des infrastructures canadiennes.

Premièrement, selon le programme annoncé: « Le Programme d’investissement dans les fermes laitières (250 millions de dollars) sur cinq ans, versera des contributions ciblées afin d’aider les producteurs laitiers canadiens à adapter leurs technologies et systèmes à la ferme, de même qu’à accroître leur productivité en modernisant leur équipement. Il peut notamment s’agir de mettre en place des robots de traite, des systèmes d’alimentation automatisés et des outils de gestion des troupeaux. »

Est-ce qu’une étude a été menée à travers le Canada pour connaître la productivité des fermes laitières? Si oui, j’aimerais bien la consulter. Est-ce que la productivité des fermes est problématique ou si ce n’est-ce pas plutôt leur rentabilité et leur efficacité? Ce sont deux notions très différentes. Est-ce que la productivité des fermes doit nécessairement passer par l’ajout de nouvelles technologies? Des outils de gestion des troupeaux? L’automatisation? Tous ces investissements coûtent beaucoup d’argent et s’ils sont mal utilisés, n’apporteront pas l’amélioration de la productivité souhaitée, encore moins de l’efficacité.

Pour parler de productivité, d’efficacité, de rentabilité, il faut connaître son coût de production, il faut se comparer pour connaître ses points forts et ses points d’amélioration.  Il faut être en mesure d’avoir les ressources nécessaires pour mettre en place un plan d’action qui va permettre, par des actions précises, d’améliorer la rentabilité des fermes.  Peut-être que certains plans vont passer par de nouveaux investissements alors que d’autres pourront passer par des changements de façons de faire, par l’amélioration du confort des animaux, par des décisions mieux réfléchies et mieux adaptées selon le style de producteur et selon le modèle de la ferme.

Est-ce que ces derniers points vont passer sous silence? Il y a encore beaucoup de place à l’amélioration de la rentabilité sans passer par des investissements majeurs.  Ces fermes qui choisiront des moyens moins dispendieux seront-elles exclues du programme d’aide? Ce serait bien malheureux de voir qu’on pousse les fermes à investir pour participer au programme d’aide.  Avoir de l’aide financière pour que les producteurs se fassent accompagner dans la gestion de leur ferme, qu’ils puissent avoir les ressources et les outils en place pour se comparer entre eux permettraient selon moi d’améliorer beaucoup plus rapidement la rentabilité des fermes.

Est-ce que d’encourager les producteurs à investir et à s’endetter va permettre d’accroître leur productivité? Une amélioration de productivité n’est pas exclue, mais est-ce que la marge de profit supplémentaire moins le paiement sur l’investissement va permettre d’améliorer la situation

financière et la rentabilité de la ferme? J’en doute pour certains projets.

Avant d’investir plus, il faut d’abord optimiser l’infrastructure actuelle. En tant que conseiller en gestion, je peux assurer qu’il y a encore beaucoup de potentiel à aller chercher sur les infrastructures actuelles.  Il faut juste être ouvert aux changements, vouloir améliorer la rentabilité de la ferme et être prêt à mettre des solutions en place et les réaliser.

Deuxièmement,  toujours dans ce même programme d’aide: « Au cours des consultations, les intervenants du secteur ont exprimé leur point de vue sur les répercussions prévues de l’AECG, et les deux nouveaux programmes s’appuient entre autres sur leurs observations. »

Qui sont ces intervenants du secteur? Consultants en gestion? Vendeurs de

robotique? Vendeur de systèmes d’alimentation? On ne le mentionne pas, mais j’ai du mal à croire que toute la rentabilité des fermes et la productivité passent seulement par la modernisation des équipements.

Selon M. MacAulay, ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire « L’AECG créera plus d’emplois et stimulera la croissance pour les familles canadiennes, en plus de générer des possibilités économiques pour la classe moyenne et d’offrir d’importants débouchés commerciaux à de nombreuses industries du secteur agricole. »

C’est vrai que de subventionner certains investissements va faire bouger l’économie et créer du travail, mais encore là, on risque d’améliorer davantage le sort des personnes qui gravitent autour des producteurs laitiers (vendeurs, constructeurs de bâtiment, ingénieurs, etc.)

Finalement,   « Le Programme d’investissement dans les fermes laitières (250 millions de dollars) sur cinq ans versera des contributions ciblées afin d’aider les producteurs. »

Il y a en 2016, 11 280 fermes laitières au Canada selon le Centre canadien d’information

laitière du gouvernement du Canada et 959 100 vaches laitières. (www.dairyinfo.gc.ca/index_f.php.)

Si on divise ce montant par toutes les fermes sur cinq ans, on obtient un montant de 4 433$ par année pour un total de 22 163$ sur cinq ans; 52$ par vache par année ou 261$ par vache pour cinq ans.  La compensation est bien minime pour pallier à près de 116 millions de dollars par année en pertes de revenus perpétuelles comme les Producteurs laitiers du Canada (PLC) l’estiment (10 284$/ferme, année après année.)

Un dernier point qui prouve que l’aide du gouvernement fédéral est mal ciblée et trop spécifique:  le programme d’aide est mis de l’avant pour favoriser la modernisation des infrastructures et des équipements sur les fermes laitières.   Qu’en est-il de ces producteurs qui n’ont pas attendu l’aide du gouvernement pour mettre à niveau leurs installations? Ceux qui ont investi quelques centaines de milliers de dollars voir quelques millions pour se positionner vers le futur? Ces producteurs n’auront pas accès à ces fonds, car historiquement le gouvernement ne tend pas à offrir des programmes d’aide rétroactifs.  On peut donc conclure en disant: pas d’investissement égal pas d’aide financière. Pourtant ces fermes, quoique plus modernes, perdront le même marché et les mêmes revenus que toutes les autres.

Luc Gagné est agronome et conseiller pour le Groupe de gestion agricole de l’Ontario (GGAO)