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le Mercredi 21 mai 2003 0:00 Le 21 mai 2003

La Fromagerie Lehmann: une micro-fromagerie au c’ur du Lac Saint-Jean

La Fromagerie Lehmann: une micro-fromagerie au c’ur du Lac Saint-Jean
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La demande pour les fromages fins est telle que la micro-fromagerie Lehmann ne répond même pas à la demande québécoise. Photo C.Rieux.

Nous fûmes reçus comme des rois à cette micro-fromagerie située directement sur les lieux de l’entreprise laitière (à quelques dizaines de mètres). Marie Lehmann, copropriétaire de l’entreprise, nous accueille au sein de son ?mini-magasin’. Celui-ci est adjacent à la fromagerie et fut bâti tout récemment. Il prend un style rustique avec ses murs de lattes en bois verni, son éclairage ambré et un modeste comptoir vitré qui sert de fier étalage aux trois fromages que produit l’entreprise.

Ceux-ci sont les Valbert et le Kénogami. Avec de telles dénominations, il est facile de se laisser enchanter par l’historique qui entoure ces fromages et cette entreprise. Le nom Valbert s’inspire d’un hameau du Jura suisse où trois générations de Lehmann ont vu le jour. La recette pour ce fromage fermier de lait cru à pâte ferme affiné en surface et vieilli (90 et 180 jours) provient directement des mains de leur arrière-grand-mère. Celle-ci fût transmise de génération en génération jusqu’à ce qu’elle soit apportée dans ce petit village du Lac-St-Jean; Hébertville.

Le nom Kénogami a également une connotation historique. Celui-ci fait allusion à la première voie de communication terrestre entre les habitants du Saguenay et du Lac-St-Jean. Cette ancienne route borde aujourd’hui la Fromagerie Lehmann. Par attachement pour leur terre d’adoption depuis maintenant 1983, les Lehmann ont choisi ce nom pour désigner un fromage fermier au lait cru à pâte molle, affiné en surface et vieilli de 60 à 80 jours.

Quoique néophyte en matière de dégustation de fromages fins, permettez-moi de vous décrire leurs saveurs respectives. N’oubliez surtout pas qu’il y a quelques années ma diète ne consistait que de Cheeze-Whiz et de fromage cottage. L’extrême récompense pour moi était des ?curds’ St-Albert. Mon vocabulaire descriptif de ce fin produit laitier n’avait qu’un seul mot: ?squeek?. Celui-ci signifiait pour moi la fraîcheur absolue et recherchée de la ?curd’.

Ceci dit, le Valbert est semblable à un fromage suisse de type ?Jarlsberg? tandis que le Kénogami ressemble à une version adoucie du ?Sir Laurier d’Arthabaska?.

La petite fromagerie compte sur un troupeau de 30 vaches en lactation de race Suisse brune. La ferme appartient, à parts égales, aux 5 membres de la famille Lehmann; soit les deux parents et leurs trois enfants (Sem, Isaban et Léa). Nous avons demandé à Mme Lehmann pourquoi avoir choisi cette forme légale. Pourquoi n’avaient-ils pas décidé d’élire un dirigeant parmi la compagnie?

Celle-ci répond que cette décision fût prise pour donner une opportunité égale à chacun de ses enfants et tenter ainsi de les attirer au sein de l’entreprise familiale. Les parents voulaient que chacun ait son mot à dire concernant les différents aspects de l’entreprise mais surtout que chacun soit au même niveau pour prendre les décisions. « Les jeunes, en vieillissant, peuvent amener plusieurs idées innovatrices pour l’entreprise auxquelles nous n’aurions jamais pensé nous les parents », affirme Mme Lehmann. « Si nous ne leur donnons pas un certain pouvoir décisionnel ceux-ci deviennent rapidement désintéressés et ne voient pas la nécessité, les avantages et les retours fructueux qu’apportent les actes de s’impliquer et de s’exprimer. Nous ne pouvons pas les blâmer », poursuit-elle.

Nous lui demandâmes alors comment ils font pour régler des conflits étant donné qu’aucun des propriétaires n’a une autorité prépondérante sur les autres. « Les banques n’ont pas du tout apprécié ce genre d’organisation et n’y croyaient point », explique Mme Lehmann. « Pour nous c’était la seule façon dont nous voulions opérer à long terme. Il n’était pas question d’emprunter un chemin différent. Pour remédier à d’éventuelles frictions nous avons simplement élu deux médiateurs extérieurs qui interviendraient advenant un conflit futur ».

Chacun fait ce qu’il aime à la Fromagerie Lehmann. Les deux fils s’occupent de la matière première et des champs et la fille prépare les fromages. Elle puise ses notions de fabrication dans la tradition familiale ainsi que de ses études et stages effectués en Suisse. La mère s’occupe de la mise en marché des produits et le père est « un peu partout », comme dirait Marie Lehmann.

Quand les parents ont démarré en 1983, ils ont prévu une mise de fonds de 400 000 dollars pour la fromagerie. « À l’époque il y avait un peu plus d’appui gouvernemental pour ce genre de projets », stipule Mme Lehmann.

S’il y a un conseil que Mme Lehmann se permet de donner aux gens intéressés par l’établissement d’une telle entreprise de transformation laitière ce serait « qu’il faut inviter les inspecteurs à chaque étape majeure de la construction des bâtiments, au lieu d’attendre que ceux-ci s’invitent par eux-mêmes ». Elle poursuit en ajoutant: « Cette précaution leur démontre que vous êtes au-dessus de la situation et inspire leur appui ainsi que leur confiance ».

En guise de conclusion nous lui avons demandé si elle prévoyait commercialiser ses fromages dans la province ontarienne. « Nous ne répondons même pas à la demande québécoise », souligne-t-elle. « La demande canadienne est monstrueuse, il y a de la place pour plusieurs autres fromageries. D’autant plus que nous ne prévoyons pas agrandir. Nous sommes satisfaits de notre situation actuelle. Pour nous la décision de bâtir une micro-fromagerie découlait d’un choix que nous avions à faire à l’époque pour survivre dans le secteur laitier; soit agrandir et se spécialiser en production laitière ou conserver notre taille et se diversifier », répondit-elle avec franchise.

Pourquoi pas dans l’Est ontarien’

Depuis un certain temps, j’entends toujours parler qu’il y un potentiel pour les fromages de spécialité au Canada. La demande et forte et elle ne cesse de croître. Avec la renommée de la production laitière ici dans l’Est ontarien, pourquoi n’y a t-il pas encore au moins UNE micro-fromagerie de fromages de spécialité dans la région’ Je vois le temps qui avance et l’opportunité devient vite volage quand elle se fait attraper par les haillons du voisin.

Il est vrai que pour produire du lait destiné pour le créneau de la fine transformation, un troupeau requiert des soins particuliers (alimentation au foin sec, pâturage etc.) et qu’avec de telles méthodes, la production volumique globale risque de diminuer. Par contre plusieurs producteurs laitiers avec lesquels je me suis entretenue me disent qu’ils sont las de produire pour une industrie qui ne les apprécie pas à leur juste valeur. Pourquoi alors ne pas créer sa propre industrie qui serait soucieuse de toutes les étapes inter-reliées, de la production à la transformation en s’arrêtant finalement à la consommation.

La conclusion que je tire de cette visite, mariée à mes quelques années d’expérience dans les différents domaines de la production laitière, est qu’il faut s’armer de patience, être prêt à changer nos habitudes et surtout apprendre à travailler en partenariat pour faire aboutir de tels projets d’envergure.

Venez vous exprimer en discutant de ces propos en ligne sur le Forum des Innovateurs en agroalimentaire à www.lavoieagricole.ca (sous l’onglet « Forum de discussion’).

*Christine Rieux est diplômée du Collège d’Alfred en technologie agricole et coordonne le Réseau de jeunes entrepreneurs en agroalimentaire, une initiative de l’Union des cultivateurs franco-ontariens. Cette tournée de l’agrotourisme au Saguenay-Lac-St-Jean a été rendue possible grâce à la Chambre économique de l’Ontario et le Secrétariat des affaires intergouvernementales canadiennes du Québec.

NDLR. Nous débutons ici la publication d’une série de reportages dans le secteur en pleine effervescence de l’agrotourisme. Ces articles font suite à une mission exploratoire de trois jours sur l’agrotourisme au Saguenay-Lac-St-Jean, à laquelle notre collègue Christine a eu la chance de participer en avril dernier. Chaque reportage est accompagné d’une réflexion personnelle de l’auteur sur des opportunités potentielles en Ontario français rural.