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«Pas de cochon à Ottawa !»

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Méga-porcheries à Ottawa : la question est renvoyée à Queen’s Park

La Capitale nationale est aux prises avec un problème inattendu, qui découle de la récente fusion des municipalités rurales environnantes. Un projet d’établissement de grandes porcheries à proximité de zones rurales habitées désormais parties d’Ottawa, soulève l’opposition des citoyens. La Ville d’Ottawa qui appuie avec les citoyens concernés, a préféré renvoyer toute la question au ministre de l’Agriculture de l’Ontario.

Une trentaine de citoyens concernés, la plupart de la petite communauté de Sarsfield à l’Est de la capitale nationale, ont manifesté leur opposition à la venue de deux méga-porcheries du Québec dans la partie rurale de la nouvelle ville d’Ottawa. Ils ont défilé en face de l’hôtel de ville le 9 janvier dernier avec des pancartes pendant une trentaine de minutes, avant d’assister bien sagement à la première réunion de l’année du conseil municipal.

Les manifestants étaient venus demander aux conseillers municipaux d’intervenir en leur faveur pour stopper définitivement les projets de porcheries. Ils disent que le projet vient d’un promoteur québécois qui ne peut développer son entreprise dans sa province, la réglementation y étant devenue trop contraignante pour ce genre d’entreprise mal accueillie dans de nombreuses municipalités.

Les conseillers aussi bien que le maire Bob Chiarelli leur ont dit qu’ils appuyaient les revendications des citoyens venus manifester leurs inquiétudes. Le hic, c’est que la ville ne peut rien faire en vertu de ses pouvoirs actuels. Tout au plus, a-t-elle pu gagner un peu de temps en adoptant un règlement de zonage intérimaire en novembre dernier, interdisant l’implantation de fermes d’élevage intensif et l’expansion de toutes fermes existantes. Le règlement deviendrait caduc le 12 septembre prochain, à moins que la Ville ne le prolonge pour une autre année.

L’histoire a commencé à faire des vagues en septembre dernier, à la suite de la demande d’un éleveur de porcs du Québec, Luc Fontaine, de transformer l’ancienne ferme laitière des Ouellette sur le chemin Lafleur à Sarsfield en maternité de 2800 truies. Les porcelets seraient ensuite envoyés au Québec pour l’engraissement et l’abattage.

Selon les normes actuelles du ministère de l’Agriculture de l’Ontario, l’étable qui accueillait 218 vaches, ne pourrait pas accueillir plus de 1090 truies, à un facteur d’équivalence de 5 porcs adulte par unité animale. À cette transformation, le règlement intérimaire ne pourra pas s’opposer, avouait Jean-Guy Bisson, urbaniste à la Ville d’Ottawa. Pour atteindre son objectif de 2800 truies, le propriétaire devra toutefois demander un permis pour expansion majeure, ce que le règlement intérimaire empêche pour l’instant.

Une autre modification réglementaire pourrait exiger qu’une étude hydrogéologique du sous-sol soit conduite avant d’accorder un permis de construction pour une grosse entreprise sur le territoire de la Ville d’Ottawa, révélait également l’urbaniste Bisson.

Par ailleurs, Luc Brunet, ingénieur au ministère de l’Agriculture de l’Ontario (MAAARO) et chargé du territoire couvrant cette partie d’Ottawa, doute que le propriétaire fasse faire les modifications nécessaires à l’ancienne étable laitière cet hiver, car «ça coûte beaucoup plus cher de couler du béton quand il fait froid, et c’est peu rentable». Par contre, le projet d’établissement suivrait son cours sur papier, et le promoteur aurait accepté de préparer la documentation nécessaire pour fournir au MAAARO un plan de gestion des éléments nutritifs en bonne et due forme.

On demande l’intervention du provincial

Lors de la réunion du conseil municipal, les officiels ont tout de suite tenté de calmer les inquiétudes des citoyens en adoptant à l’unanimité une résolution du conseiller Phil McNeely du quartier de Cumberland qui est touché par les projets d’implantation. Le conseil municipal a donc adopté une résolution qui demande au ministre de l’Agriculture Brian Coburn de régler le problème, en adoptant une législation qui permettrait d’interdire les méga-porcheries.

Mais, en attendant une réponse du gouvernement provincial, on craint que la municipalité n’ait que peu de moyens à sa disposition pour empêcher le promoteur de poursuivre son projet d’établissement d’une grande porcherie près du village de Sarsfield. Même la modification temporaire au règlement de zonage bloquant toute expansion animale, adopté en réaction en novembre dernier, pourrait ne pas avoir l’effet dissuasif, surtout qu’une demande bien documentée antérieure à l’adoption d’un règlement municipal pourrait jouir d’une sorte de ?clause grand-père?.

Le porte-parole des citoyens, Marc Lafleur, ne sait trop quoi penser du Ministre de l’Agriculture, qui représente incidemment une circonscription de la Ville d’Ottawa. «J’ai fait parvenir une pétition de près de 700 noms au Ministre de l’Agriculture et il n’a jamais répondu». Il souhaite que le gouvernement adopte une loi, qui rayerait de la carte cette industrie en Ontario.

M. Lafleur, qui est propriétaire d’une ferme laitière, ne voit pas d’un bon ?il la venue d’uneméga-porcherie presque en face de chez-lui qui, dit-il, risque de contaminer la nappe phréatique. «On ne s’oppose pas aux porcheries. On est contre l’arrivée d’une méga-porcherie. Tout le monde à Sarsfield s’alimente en eau grâce à des puits artésiens. On a peur pour la nappe phréatique».

Marc Lafleur s’est tout de même déclaré satisfait de la tournure de la manifestation qu’il a organisée. Il dit souhaiter qu’une loi provinciale rétroactive puisse remettre les choses en place et empêcher l’établissement d’une porcherie si près d’une zone rurale habitée. Marc Lafleur voudrait voir établi une zone tampon d’au moins 4 km entre une grande porcherie et la zone habitée voisine. Un autre opposant, Rudi Verspoor, rapportait que l’odeur d’une porcherie pouvait facilement s’étendre sur 5 à 10 kilomètres à la ronde, dépendant des vents dominants.

Un sous-sol sensible à la contamination

Marc Lafleur a cité à l’appui de ses inquiétudes le fait que le sol mince de l’ancienne ferme Ouellette était passablement susceptible aux infiltrations de contaminants dans le sous-sol, ce qui ajoute aux inquiétudes des résidants qui s’approvisionnent en eau à partir de puits. En outre, au moins huit puits artésiens se trouveraient enfouis sous les terrains de l’ancienne ferme, aucun d’entre eux n’ayant été convenablement colmaté, sans compter les innombrables puits de roches reliés directement au système de drainage. La nappe phréatique serait très haute en dehors de la saison de croissance.

Les résidants seraient également très inquiets pour leur qualité de vie à proximité d’une grande porcherie, qui serait beaucoup plus malodorante qu’une exploitation laitière de taille comparable, soutient-il. Entre autres, Marc Lafleur prédit que «les propriétés du voisinage perdront beaucoup de valeur advenant l’établissement de la porcherie».

Une des grandes porcheries serait située à seulement 1,4 kilomètre du centre du village de Sarsfield. Le petit village tranquille de Sarsfield compterait 450 personnes. Une seconde maternité serait proposée sur le chemin Mer Bleu, entre les chemins Navan et Innes, tout près d’un nouveau projet domiciliaire.

Atteindre une taille rentable

En se questionnant sur l’obsession du promoteur à établir une maternité de porcs de 2800 truies, Luc Brunet a jeté un éclairage intéressant sur cette question. Selon lui, «tout encourage les propriétaires de grosses maternités de porcs à se rendre à 2800-3000 truies. Cela semble être un chiffre magique, parce que ça permet alors d’engager trois employés à temps plein et pouvoir exercer la surveillance de l’élevage 24 heures sur 24», a expliqué M. Brunet. Il serait même facile de recycler les mêmes plans déjà approuvés et utilisés pour des projets de maternité antérieurs, incluant les structures d’alimentation et d’entreposage des lisiers.

M. Brunet soupçonne que le promoteur ne s’arrêtera pas à seulement 1090 truies, ce qui ne serait pas une taille de porcherie vraiment rentable pour les promoteurs, et que la Ville risque fort probablement de se retrouver devant une demande d’expansion de plus de 100 % dans un avenir rapproché.

Par contre, confiait l’ingénieur du ministère de l’Agriculture, «le Québec exige une étude d’impact environnemental qui est très coûteuse, dès qu’on arrive dans ce genre de chiffres-là». Les promoteurs parcourraient donc la campagne québécoise à la recherche de municipalités où pouvoir établir ce type de grande entreprise sans avoir à encourir de trop grosses dépenses d’établissement, soupçonne Luc Brunet. D’où l’intérêt manifesté par les promoteurs québécois pour le ?terrain vierge? que représente l’extrême-Est ontarien, où la réglementation est bien moins lourde et dans bien des cas encore au stade de projet législatif.

Un projet de grande porcherie qui serait loin d’être définitivement bloqué pour l’instant, et qui sera à suivre avec intérêt au cours des prochains mois.