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le Mercredi 19 février 2003 0:00 Le 19 février 2003

Un Collège d’agriculture franco-ontarien ? numéro 6 Le conflit entre l’École Champlain et le Collège d’Agriculture

Un Collège d’agriculture franco-ontarien ? numéro 6 Le conflit entre l’École Champlain et le Collège d’Agriculture
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La fermeture de l’École correctionnelle Champlain* ne faisait pas l’unanimité au sein de la population d’Alfred. Bon nombre de citoyens comptaient sur la présence de cette institution depuis deux et parfois même trois générations pour donner du gagne-pain à la famille.

La fermeture pouvait causer un déracinement de la famille si l’employé(e) ne pouvait se trouver un nouvel emploi à une distance raisonnable d’Alfred. Pour d’autres, il pouvait être possible de continuer avec un travail similaire avec le nouvel employeur, le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation de l’Ontario (MAAO).

La population agricole de la région allait être bien servie par la nouvelle vocation des infrastructures de Champlain, toutefois, d’autres citoyens et surtout le syndicat des employés ne le voyait pas de la même façon.

Autant la population attendant l’ouverture du nouveau collège d’agriculture était impatiente de vivre cet évènement, autant les employés de l’École Champlain et leurs familles désiraient voir sa fermeture retardée le plus possible. Même le ministre des Services sociaux et communautaires de l’Ontario de l’époque (communément appelé COMSOC) y allait de ses commentaires virulents et acerbes. Un article du journal Ottawa Citizen du 6 mai 1981 lui attribuait les commentaires suivants:

« Minister Frank Drea had agreed to let the school share the building with the new College of Agriculture and Food through 1982, if alternate housing for its 18 juvenile offenders could not be found. But local pressure, including intense lobbying by the Association of Franco-Ontarians in Prescott-Russell, forced the government to change its mind. There was just such tremendous pressure from the local farmers and francophone citizens that it was felt inappropriate to allow the inmates of the school and the agriculture students to co-exist. »

L’Ottawa Citizen poursuit:

« Late last month, Drea insisted that there was no problem at the school, adding: ?You have a group of French Farmers who say the correctional students have to leave. I don’t think anyone?s going to tell me where I?m going to place offenders in this province?. Community and Social Services Minister Frank Drea denied Tuesday that a telegram from francophones in Prescott-Russell had influenced his decision to shut the Champlain Training School in Alfred. Drea said if alternate accommodation had not been found for the 13 boys now at Champlain, the school would not have closed. »

Qui avait gagné la bataille? L’Association canadienne-française de l’Ontario (ACFO), secteur Prescott-Russell, le Conseil des Affaires francophones de l’Ontario (CAFO) le comité des agriculteurs francophones pour la création du Collège d’agriculture d’Alfred, l’Union des cultivateurs franco-ontariens (UCFO)! Chacun voudrait s’approprier le mérite et le crédit de cette victoire. Je crois personnellement que c’est la collaboration de tous ces intervenants qui a fait que le Collège d’Alfred a pu voir le jour. Une telle concertation populaire pour la création du premier collège post-secondaire de l’Ontario a certainement exigé des milliers d’heures de rencontres et de discussions. Il n’a pas été facile d’en arriver à établir ce but commun.

Il était impossible de faire cohabiter deux institutions avec des vocations tellement opposées, avec deux systèmes de gestion et deux groupes de personnel distincts. Le président du syndicat des employés de l’école Champlain, Jacques Brisebois, commentait le conflit entre les deux ministères de « bébelle politique ». Il avait peut-être partiellement raison.

Dans un éditorial du journal Le Droit du 22 juin 1981, Alain Dexter exprime son opinion de la façon suivante: « On comprend évidemment l’amertume de M. Brisebois et du groupe qu’il représente, mais ces gens-là ont été informés il y a plus d’une année d’une fermeture éventuelle de l’établissement. Quand vous avez 54 employés pour s’occuper de seulement 16 ?clients’ (lire ?pensionnaires’), il est logique de chercher à rationaliser les opérations administratives. Comme le gouvernement avait besoin d’un immeuble pour loger le premier centre ontarien francophone de technologie alimentaire et agricole, les fonctionnaires chargés de ce dossier n’ont pas eu à se casser les méninges pour comprendre que l’école Champlain se prête bien à ce genre d’aménagement.

Que les travailleurs déplacés soient mécontents, voilà qui est tout à fait normal. Mais qu’ils ne viennent pas parler de « bébelle politique » sous prétexte que le gouvernement a tergiversé avant de prendre une décision finale. Lorsque des travailleurs risquent d’être mis à pied, des fonctionnaires par surcroît, il est normal qu’une affaire de ce genre donne lieu à toutes sortes de tractations avant d’aboutir. Reste donc seulement à souhaiter que le nouveau centre d’accueil pour pensionnaires francophones soit doté d’un personnel d’expression française. Ce serait vraiment trop stupide de confier des jeunes gens perturbés à des éducateurs avec qui ils auraient de la difficulté à communiquer.

L’histoire nous révélera que le Conseil des ministres a pris la bonne décision lorsqu’il décida de transférer les locaux et le terrain de l’ancienne école Champlain au nouveau collège d’agriculture d’Alfred. À mon avis, c’était au niveau de COMSOC, que se situait le problème. Le ministre Drea cherchait à mettre le blâme sur la population francophone et les agriculteurs de Prescott-Russell pour la fermeture de l’École Champlain, toutefois, c’était au sein de son propre personnel que résidait le dilemme. Le même Frank Drea était responsable des Affaires correctionnelles au moment où des rumeurs de fermeture planaient sur l’école Champlain en 1978, soit trois ans auparavant. Le ministre connaissait le dossier et ce depuis longtemps. Il est probable qu’il n’a pas aimé se faire dicter la voie et de se retrouver avec une fermeture forcée et un groupe d’employé(e)s presque laissés à eux-mêmes pour se trouver un nouvel emploi.

Un article du journal Le Carillon du mercredi 17 juin 1981 rapportait un peu l’état d’âme qui régnait lors du dernier repas servi par la cuisine de l’école Champlain, le vendredi précédent pour coïncider avec le départ des deux derniers pensionnaires de l’institution vieille de 48 ans.

Le texte explique tout:

« La situation sur place est d’autant plus pénible pour ceux qui restent puisque plus d’une soixantaine d’employés, payés jusqu’au 14 août, doivent se trouver un autre emploi. Neuf employés sont récupérés par le Collège de Technologie agricole et alimentaire qui doit ouvrir ses portes dans les mêmes locaux en septembre, un autre a accepté un emploi à Cobourg, un deuxième à Sudbury, et un troisième s’est trouvé du travail auprès de la Société de l’aide à l’enfance. De plus, le directeur de l’institution M. Frank Szabadka, est transféré à Ottawa, au service de COMSOC, pour faire du travail de bureau, soit une démotion, nous a-t-il dit. »

Comme le dit le proverbe: « Le malheur des uns fait le bonheur des autres ». Tous ne pouvaient sortir gagnants du conflit que la création du Collège d’Alfred avait créé.

*NDLR. École Champlain: Nom du pensionnat d’alors, qui fait place aujourd’hui au Collège d’Alfred.