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le Vendredi 28 février 2014 4:00 Volume 31 Numéro 12 Le 21 février 2014

Villes ou agriculture: l’oeuf ou la poule?

Villes ou agriculture: l’oeuf ou la poule?
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 La croyance populaire veut que l’agriculture ait fait naître les villes. Des nomades se sont fixés à un endroit, ont cultivé le sol, ce qui a entraîné la naissance de villages, puis de villes. Dans la communauté des archéologues, un débat prend toutefois de l’ampleur: et si c’était le contraire qui s’était produit?

C’est que depuis une bonne décennie, s’accumulent des découvertes de ruines plus anciennes que les plus anciennes traces d’agriculture: comme si on avait créé une ville, et qu’ensuite était née l’agriculture, pour répondre aux besoins de cette ville.

C’est ainsi que Göbekli Tepe, dans le sud-est de ce qui est aujourd’hui la Turquie, est tantôt appelé «le plus ancien temple du monde», tantôt «la plus ancienne architecture monumentale du monde». Vieux de 11 600 ans, il ne précède pas seulement de 7000 ans les pyramides d’Égypte, il précède de 3000 ans les débuts de ce qu’on considère être une agriculture organisée à grande échelle.

Le site consiste en une série de pierres levées —ou mégalithes— formant un cercle. Des pierres qui ont dû nécessiter un immense travail pour être taillées, transportées et installées à cet endroit. Il faut aussi rappeler que c’était un monde où, il y a 11 500 ans, on n’avait pas encore inventé le métal, ni même la roue. Transporter des pierres de 16 tonnes nécessitait donc une coordination qui aurait été impensable si toute la population avait été nomade.

Le récit historien classique dit que l’agriculture est venue en premier, et que cette «révolution néolithique» a donné naissance aux premières villes, à l’écriture, bref à notre civilisation. Mais dans le cas de Göbekli Tepe et de Wadi Faynan, un site de la même époque mis à jour dans le désert de Jordanie, c’est le contraire: ces constructions sont apparues avant l’agriculture. Wadi Faynan fait penser à un amphithéâtre: avait-il un usage festif ou religieux? Mais dans les deux cas, le fait d’avoir des centaines de gens rassemblés au même endroit signifie qu’il faut les nourrir —et c’est peut-être de là que la nécessité d’une agriculture organisée se serait imposée.

Mais pourquoi construire quelque chose d’aussi gros si on n’a pas encore de structure de pouvoir (un roi, un empereur) ou une hiérarchie sociale qui inclut la présence d’artisans, d’architectes, de fonctionnaires? Une seule hypothèse émerge chez les archéologues: la spiritualité.

En fait, rappelait le New Scientist en octobre, ces archéologues jonglent avec l’idée depuis longtemps. C’est que le concept de la «révolution néolithique» remonte aux années 1930, mais au fil des décennies, on lui a découvert de plus en plus de trous. En particulier, la fin de l’ère glaciaire —le réchauffement subséquent aurait engendré l’agriculture— n’a été ni rapide ni homogène. Et dans les années 1990, des fouilles en Turquie ont révélé sur le site de Novali Çori, vieux de 10 000 ans, des traces d’une culture artistique déjà avancée, en dépit d’une absence d’agriculture.

L’été dernier, un archéoastronome italien, se ralliant à l’une des hypothèses, celle voulant que ces mégalithes servaient d’observatoire astronomique, a proposé que leur érection ait coïncidé avec «l’apparition» dans le ciel de l’étoile Sirius: l’inclinaison de la Terre fait en sorte qu’à la latitude de Göbekli Tepe, Sirius est devenue visible au-dessus de l’horizon il y a environ 11 500 ans.

Les pierres levées de Göbekli Tepe représentaient-elles des dieux, des géants? Le lieu en était-il un de pèlerinage avant même que l’on décide d’y construire quoi que ce soit? Et là où il y a pèlerinage, il faut nourrir les pèlerins…