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le Jeudi 13 février 2014 4:00 Volume 31 Numéro 11 Le 7 février 2014

Fini, les calepins!

Fini, les calepins!
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Dans le bureau de la Ferme Taillon et Fils, à Saint-Prime au Lac-Saint-Jean, se trouve une énorme pile de carnets. « Depuis 1991, nous notons toutes nos interventions aux champs dans des calepins de 50 pages. Certains ont subi de grosses averses, d’autres ont été ramassés dans le tas de fumier, raconte le producteur Christian Taillon. On se disait qu’un jour, il y aurait bien un outil informatique pour les remplacer. »

L’outil tant souhaité est arrivé à temps pour la saison 2013. Producteur de lait et de céréales biologiques, Christian Taillon et son employé Olivier Milot ont sauté à pieds joints dans l’aventure d’AgPad, un carnet de champ électronique que développent deux jeunes agriculteurs de la région. Du véritable cloud farming, tout à fait accessible, tout à fait adaptable aux besoins des petites et des grandes fermes.

Derrière AgPad, il y a Nicolas Lavoie, 35 ans, diplômé universitaire en science et en gestion de projet, consultant en géomatique et actionnaire de la Ferme Lavoie (75 vaches en lactation) près de Chicoutimi. Son partenaire, Guillaume Dallaire, 37 ans, diplômé en génie informatique, consultant en informatique et actionnaire de la Ferme Tournevent, spécialisée en grandes cultures biologiques à Hébertville.

Peu importe la taille de la ferme, il y a toujours énormément d’information à gérer, explique Nicolas Lavoie. « On observe beaucoup de choses au champ, on prend des photos, on a des fichiers Excel, des fichiers de comptabilité, des cartes de champ. Ça demande beaucoup de temps à analyser et ce n’est pas tout le monde à la ferme qui a les compétences pour gérer cette complexité d’information. »

Comment rendre cette masse d’information plus facile à compiler et à utiliser? Nicolas Lavoie et Guillaume Dallaire croient être sur une bonne piste. Depuis deux ans, ils planchent sur AgPad, une interface web qui s’utilise à peu près comme Facebook : on configure son profil à l’ordinateur, on le consulte et y ajoute des données également à partir d’un téléphone intelligent et on décide avec qui le partager (famille, employés et conseillers). À ce jour, AgPad est gratuit.

La configuration se fait en moins d’une heure. Il faut d’abord importer nos contours de champs en utilisant des cartes de Google Earth ou toute carte existante de nos champs (format Shape), assigner un numéro à chaque champ et indiquer quelle culture est implantée pour l’année en cours et quelles opérations (semis, fertilisation, pulvérisation, etc.) sont à réaliser.

Pour l’instant, AgPad se concentre sur la régie de culture des champs. Dès 2014, un module sur les coûts de production pourrait s’ajouter. Il s’utilise sur les appareils Android (avec ou sans connexion internet au champ) et BlackBerry ou iPhone (connexion internet obligatoire pour l’utiliser).

Lors de l’appel d’Agricom, Christian Taillon venait de récolter sept parcelles de chanvre. Pour chacune, il a pu noter sur son téléphone intelligent des observations et les rendements. « Pendant la saison de culture, je me sers d’AgPad à tous les jours, au moins cinq fois par jour, dit-il. Nous faisons beaucoup d’essais dans un même champ et je note tout. »

Quand un certificateur d’Ecocert se présente pour une visite au champ, AgPad s’avère plutôt pratique. Une question? Christian Taillon a tout l’historique du champ dans sa poche. Il est si convaincu qu’il a fait entrer les données des calepins des quatre dernières années dans AgPad, pour y avoir accès instantanément. « Un jour, j’aurai dix ans d’historique dans mon cellulaire, dit-il. Ce sera encore plus intéressant. »

L’infonuagique agricole facilite aussi le travail des conseillers. Martine Bergeron, agronome au Club-conseil Pro-Vert, suit une dizaine de producteurs qui mettent AgPad à l’essai. « Si je vais au champ et que j’observe une baisse de rendement, je peux consulter l’historique du champ, sans la présence du producteur, dit-elle. Avec toute l’information à portée de la main, je peux affiner mon diagnostic. »

L’analyse des rendements peut se faire à distance. « Quand j’ai un dossier à monter, par exemple pour un PAEF (plan agroenvironnemental de fertilisation), j’ai accès à l’information rapidement, illustre Martine Bergeron. Je n’ai plus à me rendre chez le producteur. »

 

Vers l’automatisation

Tous n’ont pas la minutie de Christian Taillon quand vient le temps de documenter les interventions aux champs. En fait, sur la centaine de producteurs qui se sont abonnés à AgPad, seule une quinzaine en font un usage régulier. Le principal obstacle est la difficulté de prendre l’habitude de noter tout ce que l’on fait. « Quand on travaille 12 à 14 heures par jour sur un chantier de foin, c’est difficile de tout noter, même pour nous! », reconnaît Nicolas Lavoie.

Les fondateurs d’AgPad avaient prévu le coup. Ils savent très bien que le frein au déploiement de l’infonuagique agricole n’est pas la disponibilité de la technologie, mais plutôt la collecte des données. La solution : l’automatisation. « Pourquoi se fier à l’humain pour la collecte de données alors que les machines peuvent la faire encore mieux? », lance Guillaume Dallaire.

De petites « boîtes noires » ont donc été assemblées pour des essais sur des tracteurs. Elles comprennent un mini-ordinateur, un GPS et une antenne wi-fi, toutes des composantes informatiques peu chères. Le tracteur qui rentre à la ferme enverra automatiquement sur AgPad tous ses déplacements de la journée.

D’autres dispositifs s’ajouteront sur des équipements et communiqueront leurs données à la boîte noire du tracteur. Sur une presse, par exemple, le nombre de balles comptées pourrait s’ajouter sur AgPad sans intervention humaine. Les données d’un semoir ou du capteur de rendement de la moissonneuse-batteuse pourront aussi s’ajouter d’elles-mêmes à la base de données. « On entend souvent dire que les données de la batteuse restent dans la batteuse, dit Guillaume Dallaire. Ce ne sera plus le cas. »

Pour l’instant, ces dispositifs pour l’automatisation de la collecte de données sont à l’essai ou en développement. Nicolas Lavoie et Guillaume Dallaire n’en sont pas rendus à déterminer leur plan d’affaires, mais une chose est certaine : AgPad et ses accessoires demeureront abordables et pourront s’utiliser sans renouveller les parcs de machinerie.

Sur Internet : www.agtia.ca      agpad.net