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La détérioration de la santé mentale des agriculteurs au Canada pendant la pandémie

Selon une étude réalisée par des chercheuses de l’Université de Guelph, non seulement la santé mentale des agriculteurs est pire qu’il y a 5 ans, mais, elle semblerait pire que la santé mentale de la population générale selon presque tous les facteurs étudiés.
La détérioration de la santé mentale des agriculteurs au Canada pendant la pandémie
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Texte de Dre Andria Jones-Bitton 

Traduction de l’article « Farmer Mental Health in Canada Worsened During Pandemic, U of G Research Finds» publié par University of Guelph

Stress, anxiété, dépression, fatigue émotionnelle et cynisme (2 composants de l’épuisement professionnel), idée suicidaire ainsi qu’une plus faible résilience sont tous plus élevées chez les agriculteurs que dans la population générale conclu l’équipe de chercheuses.

La recherche a été menée par Dre Andrea Jones-Bitton, professeure au Département de médecine des populations du Ontario Veterinary College, qui étudie depuis longtemps la santé mentale des agriculteurs.

Jones-Bitton, au côté de la chercheuse postdoctorante Dre Briana Hagen et de Rochelle Thompson, étudiante à la maitrise en science, a analysé la réponse de près de 1 200 agriculteurs canadiens qui ont complété le sondage sur la santé mentale des agriculteurs du Canada de février à mai 2021.

L’équipe de chercheuses a conclu que 76% des agriculteurs déclarent qu’ils ressentent des symptômes de stress variant de modérer à élever.

Plusieurs répondants ont aussi rapporté qu’ils avaient pensé au suicide. Les idées suicidaires sont 2 fois plus élevées chez les agriculteurs que dans la population générale. En plus, 1 agriculteur questionné sur 4 rapporte que sa vie ne valait pas la peine d’être vécue, espérait décéder ou pensait à s’enlever la vie dans les 12 derniers mois.

« Certains participants ont laissé des commentaires pour illustrer le stress qu’ils ressentaient », explique Jones-Bitton.

« Un a dit ‘’Chez les agriculteurs, on ne peut pas prendre un congé avec un billet du médecin. Tu ne reçois pas de paye si tu ne peux pas travailler’’, un autre a déclaré ‘‘le manque de contrôle est très frustrant, le manque de contrôle quant à la météo, quant aux coûts des intrants et de la marchandise sont tous des sources de stress.’’ »

D’autres ont mentionné que la hausse du prix des fertilisants et du carburant en plus de la pénurie dans la chaîne d’approvisionnement des équipements et des pièces étaient des facteurs de stress ajoutés.

« C’est une situation troublante », affirme Jones-Bitton. « Depuis longtemps, les agriculteurs font face à des facteurs de stress professionnel à cause de la météo, de leur charge de travail et de leurs finances. Toutefois, la pandémie a ajouté de nouveaux facteurs de stress tels que la hausse des coûts, la réduction de la main-d’œuvre saisonnière due à l’interdiction de voyager en 2020, et des retards dans la chaîne de traitement dus aux travailleurs et aux camionneurs atteints de la COVID-19 ».

La pandémie a ajouté des facteurs de stress supplémentaires

Le sondage a été mené au moment où la seconde vague de COVID-19 approchait. C’était une période où les niveaux de stress, d’épuisement professionnel, d’anxiété et de dépression étaient élevés partout dans la population.

« Quand les participants rapportaient vivre de façon modérée à élever du stress, de la dépression, de l’anxiété et de l’épuisement professionnel, ils ont aussi rapporté que la pandémie de COVID-19 a exacerbé leurs symptômes, » déclare Thompson.

C’est la seconde fois que Jones-Bitton et son équipe sondent la santé mentale des agriculteurs canadiens. Le premier sondage, fait en 2015-2016, notait aussi un niveau plus élevé de stress et d’autres problèmes de santé mentale chez les agriculteurs que dans la population générale.

Les femmes ont déclaré avoir une moins bonne santé mentale que les hommes

Le sondage de 2021 découvrait que le stress et les autres problèmes de santé mentale étaient plus élevés chez les femmes dans tous les aspects, excepté celui de la consommation d’alcool.

Les femmes ont aussi rapporté une santé mentale pire dans le sondage de 2015-2016, mais selon l’équipe de chercheuses, la différence semble plus prononcée dans le plus récent sondage.

La plus grande part de stress chez les femmes est associé à ce que Jones-Bitton appelle « le conflit des rôles », par lequel les femmes ont souvent des responsabilités sur et souvent hors de la production agricole, tout comme d’autres rôles tel qu’être responsable de la charge ménagère en plus d’être le « parent par défaut » et la personne de confiance et de soutien.

Parmi les agriculteurs qui rapportent un usage d’alcool de modéré à sévère, voir hasardeux, la majorité déclarait que sa consommation avait augmenté considérablement depuis le début de la pandémie.

« Ceci, additionné à la pression de l’agriculture et de la pandémie, augmente le lourd fardeau sur les épaules des agricultrices ». -Dre Andrea Jones-Bitton

Pendant que plusieurs agriculteurs pratiquent des techniques d’adaptation pour gérer leur stress, Hagen déclare que plusieurs ont rapporté d’autre comportements problématiques, incluant l’isolement sociale, l’augmentation du sommeil, un changement dans leurs habitudes alimentaires, une consommation d’alcool et de l’autoculpabilité. « Ces comportements d’évitement peuvent exposer les agriculteurs à d’autres problèmes plus tard », ajoute Hagen.

« L’agriculture peut être une occupation qui isole »

Les chercheuses affirment que leur étude, qui sera publiée sous peu, met en lumière le besoin de formation pour gérer le stress et de programmes de santé mentale pour mieux soutenir la résilience des agriculteurs canadiens. Selon les chercheuses, l’étude confirme la nécessité d’une recherche coordonnée et fondée à partir des données probantes sur la santé mentale chez les agriculteurs canadiens.

« Plus nous apprenons de cette recherche, plus nous pouvons comprendre les problèmes et les moyens possibles pour les résoudre », affirme Jones-Bitton.

L’équipe de recherche appelle à un meilleur soutien des femmes en agriculture. Leur identité comme agricultrice est souvent remise en question et, traditionnellement, elles ne sont pas en position d’autorité dans ce domaine. « Nous encourageons les hommes agriculteurs à se demander et à discuter avec leurs pairs de ce qu’ils peuvent faire pour mieux soutenir et promouvoir les femmes en agriculture », soutient Hagen.

Des recherches récentes menées par Jones-Bitton et Hagen ont dénoté un manque d’accessibilité à des services en santé mentale et à du soutien. Leurs recherches ont aussi mis en lumière que la présence d’un stigma autour de la santé mentale dans les communautés agricoles et que le manque d’anonymat étaient parmi les principales raisons pour lesquelles les agriculteurs ne vont pas chercher l’aide qu’ils ont besoin.

Thompson, elle-même coopératrice d’une ferme de volaille familiale et centenaire, espère que cette recherche aidera à attirer l’attention et les ressources indispensables pour adresser les problèmes de santé mentale des agriculteurs canadiens.

« L’agriculture est une activité qui isole et les agriculteurs avec une santé mentale fragile ont besoin de savoir qu’ils ne sont pas seuls, » explique-t-elle.

Jones-Bitton et son équipe analysent actuellement les données afin d’identifier les facteurs de risque et se préparent à publier le résultat du sondage, sondage commandité par Agriculture et Agri-Food Canada. Les chercheuses planifient de mettre à jour les résultats du sondage tous les 5 ans.