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le Samedi 7 février 2004 0:00 Le 5 février 2004

Est-ce que la société veut de l’agriculture?

Est-ce que la société veut de l’agriculture?
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Est-ce que la profession d’agriculteur est appelée à disparaître? Cet énoncé semble bizarre mais la réalité de notre société est qu’une grande partie de la population semble pointer du doigt les propriétaires de nos entreprises agricoles comme de grands pollueurs et des personnes peu soucieuses de notre environnement. Si cela est le cas, nos communautés rurales sont en danger.

En tant que professionnel de l’agriculture qui oeuvre depuis plus de 35 ans à la promotion et à l’avancement de l’agriculture, cela m’attriste beaucoup de voir comment l’ensemble de notre population est peu sensibilisée à l’importance de conserver une agriculture motivante, économiquement viable et surtout qui voit à protéger l’environnement.

On en est rendu, aujourd’hui, à essayer de dénigrer les leaders avant-gardistes, innovateurs dans le monde agricole et je pense fermement que notre société est en voie de se tirer dans le pied. Soyons francs avec nous-mêmes, ce retour en arrière souhaité par ceux qui ont une vision bucolique de l’agriculture n’est viable ni pour l’agriculteur ni pour la société. Je m’explique.

Nous, Canadiens, sommes habitués à manger trois fois par jour en plus de tous les petites collations que nous prenons entre les repas. Très rarement, lorsque nous allons « faire l’épicerie », nous nous posons la question sur la provenance des aliments. Devant notre panier de produits alimentaires sur-emballés et sur-transformés ? pour ne pas dire manufacturés ? nous parlons de la chaîne alimentaire et de sa grande importance dans l’économie globale de nos régions, de notre province, de notre pays’ et du monde entier. Mais on oublie qu’à la base de tout cela, il y a quelqu’un qui doit voir à la production des céréales, des fruits, des légumes et à l’élevage des animaux, etc. Si on élimine le producteur agricole, nous éliminons toute la chaîne alimentaire et tout son impact sur l’économie globale. Mais surtout, nous devrons nous poser la question « avec quoi allons-nous nous nourrir? »

Vous allez me répondre que je m’énerve pour rien!

Peut-être, mais le fait demeure qu’un grand pourcentage de la population canadienne ne comprend pas pourquoi nos fermes doivent constamment s’agrandir et se moderniser pour demeurer compétitives et garder le prix des aliments suffisamment bas pour permettre à ceux qui travaillent au salaire minimum de se nourrir convenablement. Les statistiques et l’histoire de notre pays démontrent, sans aucun doute, que l’agriculture a toujours une place importante dans le progrès économique de notre entourage. Pourtant, nous, les producteurs agricoles, nous nous sentons de moins en moins appuyés par nos familles, nos voisins, nos amis et enfin presque tout le monde. Nous traversons un malaise profond de manque de dialogue entre le 2% de la population à qui l’on demande de nourrir l’autre 98% des Canadiens. Même si les statistiques diffèrent d’un pays à l’autre, globalement nous sentons que la classe agricole ne reçoit pas toute la reconnaissance et la considération qui lui sont dues.

Est-ce que nous prenons pour acquis que les producteurs agricoles ne sont pas préoccupés par la survie de leur entreprise, et qu’ils sont insensibles au manque d’appui de l’ensemble de la population’ À cause de ce manque d’appui, tout et chacun se permet de coincer l’agriculteur dans un carcan. Je pense ici aux intervenants dans la gestion et l’aménagement du territoire qui imposent des contraintes et des paramètres non-compatibles avec la production agricole. Je pense ici à nos corridors routiers et de communication qui ont sectionné beaucoup de nos régions agricoles. Je pense aussi aux propriétaires de toutes ces résidences construites dans nos régions rurales qui aujourd’hui font des pressions pour cloisonner et limiter le genre d’agriculture que nos producteurs peuvent pratiquer. Je pense aussi à nos politiciens qui, pour satisfaire à la volonté de leurs commettants, passent des règlements et des lois qui imposent des contraintes irréalistes pour le milieu agricole. Je pense aussi à notre relève agricole qui n’a plus le goût de se battre constamment contre cette société. C’est ce genre de choses qui créent une atmosphère d’animosité entre les producteurs agricoles et le reste de la population.

Les producteurs doivent continuellement grossir leurs entreprises s’ils veulent survivre. Pourtant, même s’ils investissent des sommes énormes, voire des millions de dollars dans la plupart des entreprises agricoles, leur revenu net se compare seulement à celui du salarié moyen canadien’ et la comparaison ne tient plus si l’on calcule le nombre prodigieux d’heures travaillées pour arriver à un revenu comparable à celui d’un citadin.

Je trouve vraiment déplorable que des personnes qui connaissent peu ou pas les exigences de gérer une entreprise agricole moderne essayent de dicter la taille que devraient avoir nos fermes. Soyons honnêtes, les agriculteurs sont des gestionnaires avec une grande capacité d’adaptation et ils sont dédiés à leur profession, mais la société ne doit pas leur imposer des paramètres trop rigides qui sont basés sur des perceptions plutôt que sur la science.

En guise de conclusion, je dis que les agriculteurs sont des personnes fières de leurs accomplissements et j’espère que la société va leur permettre de continuer de s’épanouir. Comme tout le monde, ils veulent une agriculture durable et à échelle humaine, mais cette agriculture ne peut être durable et à échelle humaine, que si elle fournit à son agriculteur l’opportunité de faire vivre sa famille dans la dignité avec un revenu raisonnable.

André Pommainville est producteur de céréales et occupe le poste de directeur de développement à l’Union des cultivateurs franco-ontariens.