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le Mardi 10 novembre 2015 9:58 Volume 33 Numéro 06 Le 6 novembre 2015

Le Bacon est mort, Vive le Bacon!

Le Bacon est mort, Vive le Bacon!
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NDLR : Le Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC), soit l’agence de l’Organisation mondiale de la Santé spécialisée sur le cancer, s’est prononcée le 26 octobre dernier sur les risques associés à la consommation de certains produits.  La viande transformée a été classée comme cancérogène pour l’homme (Groupe 1), sur la base d’indications suffisantes selon lesquelles la consommation de viande transformée provoque le cancer colorectal chez l’homme. Aussi, la consommation de la viande rouge a été cataloguée comme étant probablement cancérogène pour l’homme (Groupe 2A), sur la base d’indications limitées selon lesquelles la consommation de viande rouge induit le cancer chez l’homme. Le Dr Sylvain Charlebois de l’Université de Guelph a réagi à la nouvelle.

Le Bacon est mort, Vive le Bacon!

Il y a fort à parier que la majorité des Canadiens prendront avec un grain de sel la décision de l’Organisation mondiale de la santé de déclarer la viande transformée comme cancérigène. Imaginez, la viande transformée est maintenant classée comme « cancérogène pour l’homme », au même titre que l’amiante, l’arsenic, le tabac et l’alcool. Le message de l’OMS est percutant, dérangeant et même insultant pour certains. Les critiques de l’industrie n’ont pas tardé, mais la préoccupation que vivent certains producteurs est palpable, et avec raison.

En Occident, l’annonce de l’OMS ne changera probablement pas grand-chose, du moins à court terme. Mais dans la perspective d’une échéance plus lointaine, les enjeux seront considérables. Au Canada, depuis 1980, la demande par personne pour le boeuf a diminué de plus de 45 % et celle du porc de plus de 35 %. C’est énorme, ainsi nos filières bovine et porcine misent désormais sur les marchés à l’étranger. Le rapport de l’OMS ne renversera forcément pas cette tendance.

Avec le vieillissement de la population, les choses deviendront vraisemblablement plus difficiles pour l’industrie. D’abord, certaines politiques pourraient changer. Par exemple, dans les comptoirs des viandes, il sera possible un jour de voir des étiquettes sur les emballages de certains produits, indiquant les risques inhérents à la consommation. L’état moraliste tente toujours d’influencer le consommateur au point de service, chose que l’on a vue avec les cigarettes. Certaines institutions publiques pourraient réviser leurs procédures d’achats alimentaires afin de se procurer moins de viandes transformées, peut-être moins de viande rouge.

Mais avant d’en arriver là, les consommateurs doivent y voir un gain. Nos traditions culinaires qui datent de plusieurs millénaires favorisent la consommation des viandes. Changer des habitudes, ancrées dans nos meurs, ne s’avère pas évident. La plupart des viandes transformées contiennent du porc ou du boeuf, ce qui inclut le bacon, le jambon, les saucisses et autres produits bien connus et aimés par de nombreuses personnes. Malgré cela, certains groupes de consommateurs veulent une offre plus relevée, plus nutritive.

L’annonce de l’OMS s’inscrit dans une démarche rigoureuse et d’une science exemplaire. L’Organisme n’a pas pris cette décision à la légère et y songeait depuis des années. Faute de posséder suffisamment de données à l’appui, elle hésitait. Mais avec le cumul de résultats probants et la publication d’un rapport dans la réputée revue médicale The Lancet Oncology, la décision de l’OMS jouit maintenant d’une dose importante de crédibilité. Le message de l’OMS mérite donc d’être écouté.

Pour les industries bovine et porcine qui ont longtemps résisté aux changements, l’annonce de L’OMS les invite à vivre une véritable période de transition. Depuis peu, les pressions viennent surtout des grands de l’alimentation. McDonald’s, A&W et les grands distributeurs ont forcé la main de certains producteurs afin d’offrir des produits de meilleure qualité. C’est au tour de la communauté de la santé d’obliger les producteurs à agir. Avec ces changements, des économies d’échelle favoriseront éventuellement la production de produits salubres et nutritifs, à moindre prix.

Bref, l’annonce de l’OMS devient l’une des menaces les plus importantes que les secteurs bovin et porcin doivent défier. D’un côté, les changements climatiques mettent en péril la viabilité de l’industrie en termes de production et de l’autre, s’exprime une demande de plus en plus préoccupée par un produit qui coûte plus cher et qui représente un risque pour la santé des consommateurs. L’industrie est prise en otage et doit agir pour survivre. Avec les prix qui augmentent sans cesse, l’industrie va devoir redéfinir son offre de valeur. Sans quoi, les consommateurs, beaucoup plus futés qu’auparavant, chercheront des alternatives alimentaires qui se conjuguent mieux avec leurs besoins.

Dr Sylvain Charlebois

Professeur, Food Institute de l’Université de Guelph

Professeur en Distribution et Politiques Agroalimentaires

Collège en Management et Études Économiques