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le Samedi 8 juin 2013 21:17 Volume 30 Numéro 13 Le 15 mars 2013

Tout est dans l’attitude

Tout est dans l’attitude
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Pascal Lemire est ce qu’on pourrait appeler un agriculteur accompli. Aujourd’hui propriétaire d’une ferme de haute génétique et père de six enfants, il cumule les fonctions de coprésident du comité consultatif industrie-gouvernement sur la traçabilité des animaux d’élevage canadiens et conseiller municipal. Mais la vie ne lui a pas toujours été favorable. Voici son poignant récit qu’il a livré à l’occasion de l’AGA de l’Union des cultivateurs franco-ontariens, le 7 mars.

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Rien ne pouvait préparer Pascal Lemire à cette onde de choc. Descendu de sa voiture pour observer un terrible accident de la route qui l’empêchait de poursuivre son chemin, un soir d’hiver, les policiers le retiennent de force. C’est sa femme. C’est Madeleine qui est coincée sous les débris de cette voiture, déchirée par la force de l’impact. Son cœur manque de s’arrêter sur le coup. Sa vie bascule.

L’année 1995 avait été particulièrement éprouvante pour sa famille et lui. Sa fille s’est fait écraser par un tracteur, accident duquel elle s’en est sortie vivante avec plusieurs fractures du bassin, et sa deuxième fille combat les infections urinaires à répétition. Elles sont toutes les deux hospitalisées. À peine un mois après, son garçon se fracture le pied.

Mais c’est le 18 décembre 1995 que le producteur laitier prend vraiment conscience que cette année-là allait marquer sa vie. À 30 ans, veuf, père de quatre enfants âgés entre 3 et 7 ans, il fait ses derniers adieux à sa conjointe, sa Madeleine.

C’est avec une incroyable force intérieure qu’il trouve le courage de poursuivre, d’abord pour ses enfants, mais aussi pour lui, alors qu’il n’en avait pas encore tout à fait conscience. « Quand on est dedans, on ne le sait pas, mais il faut que la vie continue », admet-il.

D’abord terrassé, il prend ensuite conscience qu’il n’évolue pas. « Les choses ont commencé à changer lorsque j’ai moi-même changé mon attitude. J’avais l’attitude de victime », avoue Pascal Lemire. Il va chercher de l’aide et c’est à partir de cet instant que « tout se met à recommencer, à revivre, à reconnecter ». Son attitude positive lui revient.

Il reprend alors les travaux quotidiens à la ferme et s’en suivent la construction d’une maison neuve, la rencontre d’une nouvelle compagne et la naissance de deux autres enfants.

Son changement d’attitude lui réussi. À son titre d’éleveur émérite, remporté deux ans avant l’accident, s’ajoutent ceux de famille terrienne de l’année, chef de file de sa région et jeune agriculteur d’élite du Canada.

De mal en pis  En 2001, Pascal Lemire double la superficie de son étable. Les nouveaux bâtiments à stabulation libre lui permettent d’accueillir une soixantaine d’animaux de relève et de vaches taries.

Puis, à peine quatre mois après l’expansion, la tragédie s’abat à nouveau en février. Comme pour le mettre encore à l’épreuve.

16 h 10, Pascal sort du congrès annuel d’Holstein Québec lorsqu’il reçoit un coup de fil. « Ma fille de neuf ans m’appelle pour me dire que le feu est prit aux bâtiments. » Elle lui explique que l’étable neuve est déjà partie en fumée, alors que la vieille est en feu. « J’ai juste été capable d’aller chercher les enregistrements, lui explique Laurent, son employé. Tout est par terre. Les vaches sont mortes. On ne sauve rien, rien, rien. »

À son arrivée, la réalité le frappe de plein fouet. « Le spectacle que j’ai vu était horrible. […] Tout est emporté en fumée. Treize ans de travail. Nos vaches excellentes, toute la génétique a été emportée, de même que nos récoltes », dit-il le cœur gros. Tout est à recommencer. Les pertes sont évaluées à 1,4 million $.

« Je n’avais même pas eu le temps de faire un paiement de capital sur ma nouvelle étable avant qu’elle parte en fumée. J’ai demandé à mon assureur si mon capital était lui aussi parti en fumée, mais il m’a répondu que non », plaisante-t-il.

À 37 ans, il reconstruit tout, avec la même force qu’il a rebâti sa vie après le départ de Madeleine. « J’avais l’attitude de looser. J’avais tout perdu, admet Pascal. Il fallait que je sois capable de changer d’attitude pour rebâtir, repenser, poursuivre et revoir la vie sous un autre angle. »

Il confie avoir eu de l’aide psychologique et professionnelle pour y parvenir. « Quand tout déboule dans nos têtes, eux sont toujours là », reconnaît l’agriculteur.

Heureusement, une cinquantaine d’embryons sont sauvés des flammes et la même quantité lui est offerte par des confrères d’exposition bovine pour l’aider à reconstituer son troupeau laitier. De plus, le mot se passe dans la communauté agricole et plusieurs producteurs laitiers offrent des receveuses. Résultat : 22 gestations.

En juillet 2002, la reconstruction de la ferme se termine et Pascal Lemire achète un troupeau de 103 têtes, dont 56 laitières (5 TB et 29 BP).

Ses enfants sont aujourd’hui intéressés à prendre la relève de la ferme familiale, ce qui réjouit leur père. Il ne regrette donc pas d’avoir surmonté ces épreuves. « Il ne faudrait pas qu’il en arrive une autre, je me dis souvent ça. […] J’ai choisi l’agriculture trois fois. Une fois à 24 ans en achetant l’entreprise, une autre après le décès de ma femme et après l’incendie. » Il confie qu’il ne se serait pas vu élever ses enfants autrement.