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le Lundi 10 février 2003 0:00 Le 5 février 2003

Un Collège d’agriculture franco-ontarien ? n°5 École Champlain ? Ferme, Ferme pas, Ferme?

Un Collège d’agriculture franco-ontarien ? n°5 École Champlain ? Ferme, Ferme pas, Ferme?
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L’avènement de la première institution post-secondaire francophone en Ontario, le Collège d’agriculture d’Alfred, est une histoire remplie de péripéties et de rebondissements. Roger Pommainville nous décrit ici d’autres obstacles qui se dressèrent après l’annonce politique de la création du Collège d’Alfred (article précédent), alors que régnait l’incertitude au sujet du sort qu’on réserverait à l’école de réforme Champlain* qui occupait à l’époque les bâtiments de la future institution.

Les infrastructures de l’École Champlain étaient un emplacement idéal pour une école d’agriculture: des locaux spacieux, des ateliers nombreux, des équipements sportifs exceptionnels, 65 places en résidence, du terrain cultivable ainsi qu’une érablière. Ce milieu agricole au sein d’un village rural, appartenait déjà au gouvernement de l’Ontario.

Toutefois, en fermant l’École Champlain, ce même gouvernement devait reloger les pensionnaires qui demeuraient encore sur les lieux, trouver de nouveaux emplois pour de nombreux fonctionnaires et faire face à l’opposition de beaucoup de citoyens de la région, pour qui la fermeture de l’école représentait un certain déchirement.

Plus la date fatidique de la fermeture approchait, plus les employés et surtout le syndicat devenaient irritables et anxieux, car les modalités de fermeture n’étaient pas claires. Comme le rapportait un article du journal Le Carillon de Hawkesbury du 24 septembre 1980:

« Quelque 68 employés de l’École Champlain se posent [également] des questions sur leur emploi. Il semble qu’aucune planification conjointe des deux ministères impliqués dans le transfert de l’école et du terrain n’ait été faite jusqu’à maintenant. »

De fait, il était étonnant qu’il y ait si peu de collaboration entre le ministère des Affaires sociales et communautaires de l’Ontario (souvent désigné par son acronyme anglais ?COMSOC’) et le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation de l’Ontario (MAAO). Moins d’un an avant l’ouverture du premier collège post-secondaire de langue française en Ontario, il n’y avait encore presque rien de décidé comme le soulignait Le Carillon du 17 septembre 1980: « Tout est à négocier, rien n’est finalisé, de dire le surintendant de l’École Champlain [à l’époque], M. Frank Szabadka, si ce n’est la date d’ouverture du collège d’agriculture ».

Le président provincial du Syndicat des Employés de la fonction publique de l’Ontario (SEFPO), Sean O?Flynn, était venu rencontrer les employés du local 401 de l’École Champlain. Il avait insisté sur l’importance de transférer les employés dans la région immédiate, près de leur domicile actuel. Toutefois, il n’était pas possible de garder tous les employés dans le même genre d’emploi, vu les différences évidentes dans la nouvelle vocation que l’on donnerait aux locaux de l’École Champlain.

Outre les neuf professeurs, les employés de l’École Champlain occupaient les fonctions suivantes: trois infirmières à temps plein, deux agents de récréation dont un occasionnel à contrat, trois conseillers sociaux dont un occasionnel à contrat, huit employés de cuisine dont deux occasionnels à contrat, huit employés de bureau dont deux occasionnels à contrat, deux conducteurs dont un occasionnel à contrat, un officier à la Cour, huit préposés à l’entretien, un proposé à la lingerie et 32 moniteurs en éducation dont 14 occasionnels à contrat.

Une école de réforme à Alfred

En septembre 1980, l’École Champlain comptait 41 pensionnaires, dont sept francophones, tous des garçons. On comptait alors presque deux employés pour chaque pensionnaire. Ces derniers étaient cependant parmi les plus difficiles que l’école ait connus, et ils étaient gardés dans un périmètre de sécurité clôturé.

En 48 ans d’existence, l’École Champlain comme institut correctionnel, avait accueilli 4096 jeunes garçons de 9 à 16 ans (un projet-pilote pour des filles n’avait fonctionné que deux ans). D’abord ouvert sous le nom d’École St-Joseph par les Frères des Écoles Chrétiennes, l’institution avait été prise en charge en 1965 par le gouvernement de l’Ontario. Une douzaine de frères et cinq laïcs constituaient les premiers membres du personnel de l’école en 1933 où logaient 36 pensionnaires. Peu de temps après son ouverture, le gouvernement regroupa les cas problèmes de tout l’est et du nord de l’Ontario à cette école, incluant plusieurs néo-canadiens et autochtones.

En 1965, le ministère des Services Correctionnels de l’Ontario prenait charge de l’école et lui donnait le nom d’École Champlain. Quelques années plus tard, ce fut le ministère des Services Sociaux et Communautaires de l’Ontario (COMSOC) qui devenait gérant de l’institution. Il y aurait eu jusqu’à 30% d’autochtones du nord de l’Ontario à un certain point. L’école a déjà accueilli entre 250 et 300 pensionnaires à certains moments.

L’école fonctionnait sous le principe de la discipline et de la récompense. Comme récompense pour ceux qui suivaient les règlements, il y avait des voyages tels qu’à Toronto, à Banff et des camps de vacances. De plus, les pensionnaires sages avaient le droit de jouer avec un aménagement spectaculaire de trains électriques miniatures, de participer à des expéditions en canots, de recevoir la visite de personnages reconnus, tel le lutteur Paul Vachon et il y avait la fameuse journée des policiers, où se déroulaient de nombreuses compétitions amicales entre les policiers et les jeunes pensionnaires. Les pensionnaires qui acceptaient de faire un choix de vie en société, étaient aussi récompensés en obtenant de beaux vêtements neufs.

Faire la transition vers une école d’agriculture

Pour reloger les pensionnaires, trois maisons de réhabilitation devaient être construites dans les alentours (le conseil du village d’Alfred avait même changé son règlement de zonage pour y accommoder ces nouvelles constructions). Toutefois, le 4 mai 1981, le ministre des Affaires sociales et communautaires de l’Ontario, Frank Drea annonçait que les trois résidences ne verraient pas le jour, ce qui aurait pour effet de mettre en disponibilité les quelque 75 employés de l’institution. Des maisons de transition seraient construites dans Ottawa-Carleton, Frontenac, Glengarry-Stormont-Dundas, Leeds, Grenville, Hastings et Renfrew.

Ce changement soudain, laissa les employés désemparés. Comme le soulignait Jacques Brisebois, le président du local 401 du syndicat dans un article du journal Le Carillon du 6 mai, 1981: « C’est un coup de cochon’ on ne sait plus quoi faire, on ne sait plus quoi penser! C’est l’industrie première d’Alfred qui est éliminée, puisque la majorité des employés étaient d’Alfred. » Combien de ces employés seraient transférables au nouveau collège d’agriculture?

Très peu, en fait. À peine une douzaine le seront, tout au plus.

Selon le journal Ottawa Citizen du 6 mai 1981, le ministre Drea avait plié devant la pression des supporteurs du Collège d’agriculture:

« Yielding to pressure from local farmers and francophones, the province has decided to close the Champlain Training School in Alfred. Drea said if alternate accommodation had not been found for the 13 boys now at Champlain, the school would not have closed. » [Cédant aux pressions d’agriculteurs et de francophones de la région, la province a décidé de fermer l’École Champlain d’Alfred. Le ministre Drea a dit que si on n’avait pas trouvé d’autres endroits pour garder les 13 garçons qui restaient à Champlain, l’école n’aurait jamais fermé.]

La décision allait prendre effet le 14 août 1981. Les étudiants du nouveau Collège d’agriculture allaient entrer dans les anciens locaux de l’École Champlain au début de septembre. Dans le prochain volet, je reparlerais avec plus de détails du conflit qui se développa entre COMSOC et le MAAO pour l’utilisation des locaux de l’École Champlain.

*NDLR. École Champlain: Nom du pensionnat d’alors, qui fait place aujourd’hui au Collège d’Alfred.

[Image: Pensionnaires1-nb.TIF] En guise de gratification, les pensionnaires sages avaient le droit, entre autres, de jouer avec un aménagement spectaculaire de trains électriques miniatures.

Photo gracieuseté du journal Le Carillon, 20 juin 1981.