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le Lundi 6 juin 2016 11:06 Volume 33 Numéro 18 Le 20 mai 2016

La luzerne HarvXtra homologuée au Canada

La luzerne HarvXtra homologuée au Canada
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Les opposants au projet de la compagnie Forage Genetics International d’introduire ses semences de luzerne génétiquement modifiée (GM), HarvXtra, sur le marché canadien sont amers.

Depuis peu, le produit est disponible dans l’Est du Canada. En Ontario, l’entreprise a conclu son marché avec le réseau coopératif Growmark FS Partners.

« On est déçu c’est certain. Comme toujours,  les OGM,  qu’on le  veuille ou pas, on est obligé de l’avaler. Malheureusement, à cette étape-ci, je ne pense pas qu’il y ait grand-chose qu’on puisse faire », réagissait Tom Manley, président du conseil de la production biologique en Ontario.

Dans son numéro du 6 mai, Agricom expliquait pourquoi une coalition formée d’une quinzaine d’associations agricoles au pays, principalement en production biologique, mais aussi en production conventionnelle, demandait au gouvernement fédéral d’imposer un moratoire sur la question, tant qu’une étude d’impacts ne soit réalisée pour évaluer l’ensemble des répercussions sur le secteur agricole canadien. À cause des risques de contamination croisée, les producteurs biologiques craignent de ne plus être en mesure de répondre aux normes de leur cahier de charge alors que les producteurs conventionnels ont peur de se voir fermer l’accès à des marchés d’exportation importants. Plusieurs pays refusent les grains OGM ou les cultures conventionnelles si elles en portent la trace par contamination.

Agricom a fait un tour d’horizon pour prendre le pouls de la communauté agricole dans ce dossier. Les avis sont partagés.

Partisan de l’objectivité

« L’important c’est que l’on ait une approche scientifique. Je pense que c’est l’approche qu’a le Canada. En signant des accords de libres-échanges, ce sont des discussions qui vont avoir lieu et quand on parle d’OGM on ne peut pas dire que tout mauvais. Par exemple, pour le canola, on en exporte en Europe pour le biodiesel, mais pas pour la consommation humaine. Mais, c’est quand même un dossier important. On sait que pour la Chine ça peut nuire à notre marché et aussi que le marché bio est en croissance. C’est là l’importance de l’approche scientifique. Il faut s’assurer qu’ils (les producteurs qui craignent la contamination) peuvent le faire sans que l’on contamine leurs champs », estime Francis Drouin, député fédéral dans Glengarry-Prescott-Russell, qui vient de former un comité sur l’agriculture dans sa circonscription.

Avantageuse ou pas?

« Il y a beaucoup d’emphase qui est mis sur le fait quelle résiste au  ghlyphosate, mais ceux qui appliquent des ghlyphosates le font pour avoir de la luzerne pure », mentionne pour sa part Gilles Quesnel, agronome spécialiste en grandes cultures à la retraite en indiquant qu’il s’agit d’une minorité. Il voit cependant peut-être certains avantages à cette nouvelle luzerne.

« Comme son taux de fibre est plus bas, elle conserve sa valeur au champ. Cela veut dire qu’on pourrait espacer les coupes et en faire trois au lieu de quatre, par exemple. Tout ça reste à voir. Je sais qu’il y a de l’inquiétude pour la contamination, mais en Ontario de ce que je connais, il n’y a pas de producteurs qui cultivent pour la semence et de ce que je connais aussi, le risque de contamination est très faible. C’est surtout dans l’Ouest qu’il y a les abeilles spécialisées. Mais on ne peut jamais dire jamais », poursuit M. Quesnel.

D’une part, il mentionne que la luzerne est vraiment difficile à polliniser et que d’autre part, ce type d’abeilles solitaires est peu présent dans notre région. Dans l’Ouest, elles sont nombreuses et on leur construit des abris.

« Au niveau des inquiétudes sur les OGM, il y a bien des religions dans le monde. On ne peut pas faire une ligne pour trancher entre ce qui est OGM ou pas. À quel moment on appelle ça un OGM? » questionne l’agronome en donnant l’exemple de la patate douce pour laquelle on s’est aperçu qu’elle a développé par elle-même un gène que l’on inoculait auparavant en laboratoire à l’aide d’une bactérie. Elle s’est donc auto génétiquement modifiée.

Intérêt ou non?

Dans le Nord de la province où la luzerne est produite à petite échelle, simplement pour répondre au besoin en alimentation du bétail, il y a peu d’intérêt pour cette luzerne GM qui résiste au ghlyphosate, explique l’agronome du ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et des Affaires rurales de l’Ontario Daniel Tassé.

« Il y a peut-être un marché bien spécifique pour ça. Ce serait pour ceux qui veulent avoir un champ de luzerne pur. Peut-être pour ceux qui font des granulés, mais nous, normalement, on aime mieux avoir un mélange de graminées et de luzerne.  Les producteurs ne veulent pas avoir des champs de luzerne à 100 %. Les producteurs en parlent, mais je n’ai pas senti qu’il y avait beaucoup d’appétit de leur part à l’utiliser ici. Ce n’est pas un atout à tout casser », rapporte M. Tassé.

La luzerne  HarvXtra est donc disponible, mais il n’est pas dit pour autant qu’elle suscitera l’engouement. Certains toutefois ont démontré de l’intérêt.

« Moi j’ai un client qui m’en avait demandé, mais le temps qu’elle soit homologuée, à la fin d’avril, il avait décidé d’y aller pour le conventionnel », affirme Alain Gratton, représentant des ventes à la Coopérative Agricole d’Embrun, entreprise membre du réseau Growmark FS Partners.

Pour sa part, Normand Brunette comme agriculteur ne voit pas cette arrivée d’un bon œil. « Je n’ai pas envie de me ramasser avec ça dans mes champs parce que ça s’est propagé. Ils (la compagnie) peuvent autant vouloir t’accuser de l’utiliser illégalement et te charger. Ça s’est déjà vu avec Mosanto. »

Ainsi, tous n’ont pas le même avis et vu la période de l’année où elle a été rendue disponible, on ne pourra pas parler d’une entrée fracassante. Certains comme Tom Manley toutefois, craignent qu’elle ne soit utilisée pour les semis d’été.