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le Vendredi 2 octobre 2020 11:42 Volume 38 Numéro 2 – Le 18 septembre 2020

Produire du houblon biologique dans l’Est ontarien

Produire du houblon biologique dans l’Est ontarien
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Visite à la Ferme Chlodowing Farm Inc – All natural Hops de Danik Lafond à Saint-Eugène.

Située à Saint-Eugène dans l’Est ontarien tout près des frontières québécoises, la Ferme Chlodowing Farm Inc – All natural Hops s’étend sur une dizaine d’acres dont huit sont en culture et comprennent environ 8000 plants de houblon. La plantation biologique du propriétaire Danik Lafond, compte 9 variétés, dont 7 matures et récoltables pour le marché.

Le houblon (Humulus lupulus) est une plante herbacée vivace grimpante de la famille des Cannabaceae et selon le Ministère de l’Agriculture de l’Ontario, « sa production commerciale connaîtrait une résurgence dans la province » depuis quelques années. Ce sont principalement les cônes (cocottes) des plantes femelles qui sont cultivées et récoltées pour l’industrie de la bière. Le houblon peut aussi être utilisé comme plante médicinale et utilisé dans l’industrie pharmaceutique.

Une houblonnière demande beaucoup de travail et beaucoup de préparation comme l’explique le propriétaire Danik Lafond établi à Saint-Eugène depuis 2011 avec sa famille. « Nous avons fait nos recherches et rédigé notre plan d’affaires à l’automne 2014, acheter la terre en décembre 2014 et nous avons débuté le projet en 2015. » Produire du houblon prend au moins trois ans avant que les plants ne soient matures et demande beaucoup d’investissements.

La production de Danik est encore jeune avec environ 1500 kilogrammes de production annuelle. « On espère faire 4000 kilogrammes d’ici deux ans », souligne-t-il. « La culture du houblon est un projet à long terme, comme les vignobles pour le vin. Ça prend au moins 10 ans avant de penser à rentabiliser, et c’est probablement encore plus difficile en bio. »

La production biologique vs conventionnelle

Le marché du bio est moins volatil que celui du conventionnel pour les prix. Il s’agit d’un marché de niche. « On peut penser que nous vendons environ 20-25 % plus cher que le houblon conventionnel », estime Danik.

Par contre, les microbrasseurs vont parfois privilégier d’acheter un houblon conventionnel, car le prix sera moins élevé. « Le problème dans la fixation des prix c’est que les Américains du pacifique-ouest ont énormément d’inventaire et par conséquent, il y a du houblon conventionnel à bas prix. Cependant, c’est du houblon entreposé depuis plusieurs années… », détaille Danik en rappelant que parfois, au final, plusieurs brasseurs s’arrêtent uniquement au prix sans tenir compte de la détérioration de la qualité du houblon avec les années d’entreposage. Ils peuvent donc penser qu’un houblon local de l’année coûte vraiment plus cher, mais ce n’est pas nécessairement le cas.

Également, un défi- le plus important sûrement- avec la production biologique est de produire un bon rendement. « Nous produisons une très bonne qualité, mais le rendement en bio est toujours le problème le plus important pour la rentabilité. Le fait que nous sommes deux-trois producteurs bio dans l’Est du Canada nous isole et nous profitons peu de l’expérience des autres producteurs. » 

Cependant, cela n’arrête pas le producteur de houblon : « Depuis quelques années, je développe des relations avec des producteurs bio en Europe, notamment avec un producteur Belge pour me conseiller et m’orienter. On est quand même des pionniers au Canada. On a aussi réintroduit cette culture qui a été une activité économique importante à la fin des années 1800 et jusqu’en 1920 dans la région. »

La récolte

La récolte dure une bonne semaine. « Le prime time du houblon à sa maturité et à sa meilleure qualité brassicole dure 5 jours », confie Danik. Peu importe l’humidité le matin, les journées débutent dès 7 h 30 pour la récolte aux champs. Les tiges sont coupées avec la corde sur laquelle elles se sont enroulées durant la saison et le tout est transporté à la machine assurant la séparation des cocottes des tiges. La machine « Wolf » a d’ailleurs été importée directement d’Allemagne en 2015 par le producteur.

Il estime avoir environ 5 à 10 % de pertes dans les déchets (p. ex. cocottes trop petites). Cela dit, ces déchets seront revalorisés et transformés en compost qu’il réintègrera dans les champs plus tard sachant que la plante est composée à 75 % d’azote. « Les plants ont besoin d’être fertilisés au maximum pour bien produire et c’est un défi en régie biologique de pouvoir fournir engrais et nutriments en quantité suffisante. »

Pour la récolte, Danik peut aussi compter sur l’aide de voisins et d’employés qui reviennent chaque année, pour certains. Chose certaine « Sans Poppi ce ne serait pas pareil. » Poppi, c’est le voisin de la famille, Monsieur Paul David, fidèle au rendez-vous et toujours partant pour donner un coup main. Un ami avec le cœur sur la main et un précieux allié sans qui « tout cela ne serait pas possible » insiste plus d’une fois Danik Lafond.

La mise en marché

Il y a trois techniques de mise en marché pour vendre le houblon.

-Frais : dans le but de faire une « bière de récolte » (Harvest Ale) ;

-Séché : les cônes (cocottes) qui ont été séchés ;

-Granules ou en feuilles : Après avoir séchées, les cocottes sont séparées et les granules sont alors ensachées grâce à une presse et vendu au ballot, un avantage certain pour l’entreposage.

La houblonnière de Saint-Eugène peut fabriquer les trois produits pour ses clients.

Présentement, le marché actuel de la Ferme Chlodowing se limite à des microbrasseries et coopératives de l’Ontario et du Québec. La production est planifiée d’une année à l’autre en fonction des partenariats obtenus. Si la production augmente assez pour l’an prochain, il pourrait y avoir des opportunités d’exporter en Europe pour l’entreprise. « Le houblon biologique est très en demande en Europe », rapporte M. Lafond.

« Ici, plusieurs microbrasseries biologiques font encore le choix d’acheter aux États-Unis et ailleurs. Malgré le marché de niche et que nous soyons très peu de producteurs biologiques au Canada, nous arrivons difficilement à vendre notre houblon et établir des partenariats d’affaires avec les microbrasseries locales et c’est pour cette raison que nous avons développé des relations d’affaires pour l’exportation », ajoute-t-il.

Projets à venir

Avec la demande forte en Europe et de plus en plus de liens d’affaires prometteurs avec certaines microbrasseries locales, l’entreprise est de plus en plus confiante pour investir davantage. « J’aimerais augmenter de 20-25 % dès l’an prochain. Nous serions la plus importante houblonnière bio de l’est du Canada, » conclut Danik Lafond.