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le Vendredi 21 août 2015 12:04 Volume 33 Numéro 01 Le 21 août 2015

À la découverte des racines francophones du Sud-Ouest

À la découverte des racines francophones du Sud-Ouest
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La région agricole la plus au sud au Canada est parsemée de traces vivantes des premiers Canadiens français à s’y établir. Récit de voyage.

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Mes voyages de reportages agricoles ont souvent eu lieu sur fond d’exploration du patrimoine français d’Amérique. Dans le Midwest américain, j’ai repéré d’innombrables noms de lieux français, mais aucune âme qui parle ma langue.

Au début de l’été, j’ai eu le bonheur de me rendre dans le sud-ouest de l’Ontario. Dans la région la plus au sud du Canada, la présence française remonte à l’époque de la Nouvelle-France! En plein coeur du continent nord-américain, à plus de 750 km d’Ottawa, on cultive encore la terre en parlant la langue de chez nous.

Mon hôte n’est nul autre que Maurice Chauvin, producteur de grandes cultures, membre du conseil d’administration de l’UCFO. Il cultive à Pointe-aux-Roches, sur les rives du lac Sainte-Claire. Du haut des silos de l’ancienne ferme laitière, on pourrait voir la silhouette des gratte-ciel de Détroit, ville que mes ancêtres (Trottier) ont fondée.

Les plus anciens documents retrouvés établissent à 1827 les débuts de la Ferme Chauvin. Maurice est de la sixième génération à cultiver ici. Des inscriptions sur une pierre, installée près de la route, rendent hommage aux ancêtres Chauvin, qui ont été parmi les premiers à s’établir de façon permanente dans le coin.

Maurice est persuadé que comme ses voisins Tremblay et Mailloux, la présence de ses ancêtres dans la région remonte au siècle précédant. La Nouvelle-France était vaste et de nombreux Canadiens français se sont établis près du Détroit, se mêlant aux Amérindiens et aux coureurs des bois.

Philippe Chauvin, le grand-père de Maurice, a été l’un des fondateurs de la Coopérative agricole de Pointe-aux-Roches et de la caisse populaire locale. Son père, Robert, s’est battu pour l’obtention d’écoles francophones.

Comme à plusieurs endroits en Ontario, c’est à la campagne que la langue survit le mieux. Mais même au village de Pointe-aux-Roches, le français est devenu minoritaire. Dans les écoles francophones, les enfants des familles agricoles sont souvent les seuls de leur classe à parler français à la maison.

Visage agricole

La péninsule entre les lacs Sainte-Clair et Érié est séparée en deux par l’autoroute 401, avant de se terminer à Windsor. Du côté sud, c’est la région de Leamington, avec ses innombrables serres. Du côté nord, les champs de blé, de maïs et de soya sont cultivés en grande partie par des familles francophones. La production laitière est pratiquement disparue.

Après m’avoir montré le panneau solaire derrière les bâtiments de ferme et l’une des trois éoliennes sur ses champs, Maurice m’emmène du côté de Belle River, chez Léo Guilbeault, producteur de grandes cultures et détaillant de semences Pioneer.

À notre arrivée, deux producteurs sont accoudés au comptoir du bureau. On discute, en français, de la tempête de la veille et du printemps pluvieux. Ma présence fait dévier la conversation sur la survie du fait français, puis sur l’épineux sujet des nouvelles contraintes à l’utilisation de semences traitées aux néonicotinoïdes.

Léo Guilbeault cumule plus de 25 ans d’engagement aux conseils d’organisations comme l’Ontario Soil and Crop Improvement Association, Ontario Soybean Growers et Grain Farmers of Ontario.

Ici, la rotation maïs-soya-blé d’automne est la plus commune. Le semis direct est largement répandu. Dans cette région la plus chaude du Canada, on compte officiellement 3400 UTM. Selon Léo Guilbeault, les trois quarts des hybrides de maïs semés sont de 3150 UTM.

Un gîte et son drapeau

Maurice me suggère de loger au Iron Kettle B&B, dans le village plutôt anglophone de Comber. Il a été repris par des francophones, mais le site Internet est exclusivement en anglais. Je suis vite rassuré : au téléphone, on me répond en français et devant la maison victorienne flotte un drapeau franco-ontarien.

En avril 2014, Benoit Leblanc Beaudoin et Ginette Tremblay passent leur nuit de noces dans le gîte. Il est chef cuisinier, il a grandi à Toronto avec ses parents originaires de Trois-Rivières. Elle est enseignante, née à Pointe-aux-Roches.

Trois mois plus tard, le couple apprend que le gîte est à vendre. L’occasion est trop belle. Ils ont 29 ans, le goût de se lancer dans un projet. Ginette décoche un poste à l’École secondaire l’Essor, là où enseigne encore son père!

Un site web en français est prévu. « Il y a beaucoup de francophones par ici, dit Benoit. S’il y a des fautes d’orthographe sur notre site, on va se faire arracher la tête! » La seule fois où le drapeau franco-ontarien a été emporté par un grand vent, le téléphone a vite sonné.

Les jeunes mariés et nouveaux propriétaires n’ont jamais besoin de chercher de l’aide bien loin. Une cousine, une tante ou un ami viennent donner un coup de main ou prêter un outil. La grand-mère de Ginette fait des confitures à partir des petits fruits cueillis sur place, « à condition que je lui ramène ses pots Masson », précise Benoit.

Malgré la prédominance des grandes cultures et de la serriculture industrielle, on compte dans la région 18 vignobles et de nombreux kiosques de vente de légumes à la ferme. Benoit tente d’utiliser un maximum de produits locaux dans ses déjeuners et ses repas pour événements spéciaux.

Les ornithologues représentent une importante partie de la clientèle. Ils se rendent au Parc national de la Pointe-Pelée, baptisée ainsi par nos ancêtres explorateurs.