Notre collaborateur, à l’occasion du dévoilement du Mérite agricole franco-ontarien de cette année, a écrit un hommage à son ancien mentor, Laurent Farmer. Il a été au premier plan de la modernisation de l’agriculture qui se pratiquait dans les comtés francophones de l’extrême Est de la province. Il a laissé une grande marque sur l’agriculture et sur le monde rural, que nous ressentons encore aujourd’hui.
Laurent Farmer est né à Sarsfield en Ontario le 13 août 1921 d’une famille de 14 enfants, soit dix garçons et quatre filles! M. Farmer a fait ses études au petit séminaire d’Ottawa où il obtenu son B.A. Par la suite, il a suivi des cours en science agricole au collège d’Oka de l’Université de Montréal, où il obtient un baccalauréat en 1948.
Fraîchement sorti de l’université, M. Farmer décroche son premier emploi comme propagandiste en production animale à Moncton au Nouveau-Brunswick. En 1951, il revient dans l’Est ontarien comme agronome et coordonnateur des programmes agricoles du comté de Prescott pour le département de l’Agriculture de l’Ontario. Il devient ainsi le successeur immédiat de M. Ferdinand Larose.
L’agronome aux multiples talents
Ses talents de vulgarisateur agricole, de gestionnaire et de mentor sont bien connus. Durant ses 32 années en tant qu’agronome en chef du comté de Prescott, il a été tour à tour témoin et instigateur d’un grand nombre de changements dans l’industrie agroalimentaire.
Je me dois de souligner son habilité à reconnaître l’importance de la formation des agriculteurs. Avant la venue du Collège d’Alfred au début des années 80, un grand nombre de producteurs francophones ont eu l’opportunité de parfaire leurs connaissances en techniques agricoles, en mise en marché et en communications par l’entremise de cours et de sessions d’études dont M. Farmer était un des initiateurs, et bien souvent enseignant. C’est vers la fin des années 60 et au début des années 70 que beaucoup de producteurs ont suivi ces cours.
Notre récipiendaire a marqué le monde de l’industrie agroalimentaire en multipliant les clubs d’éleveurs (laitiers, bovins, porcins et avicoles) et tout particulièrement l’Association pour l’amélioration des sols et récoltes. Sa présence comme secrétaire-trésorier assurait une continuité et une permanence administrative qui laissait le temps aux producteurs de ces clubs et associations de se consacrer sur les côtés techniques de la production.
Du côté gestion et développement de la relève, il faut penser aux clubs 4-H et Jeunes agriculteurs (mieux connu sous le nom de Junior Farmers). Ces clubs étaient souvent le seul tremplin de formation et de leadership que nos jeunes Franco-Ontariens avaient avant de reprendre la relève de leurs parents.
Il est important de souligner son implication lors de l’établissement d’un mouvement consacré à la promotion du rôle de la femme ? La femme et la gestion de la ferme ? qui a grandement contribué à l’émancipation des femmes dans le domaine agricole, tout particulièrement dans la gestion de l’entreprises agricole qui, durant cette période, prenaient de plus en plus d’ampleur.
Les deux premiers agronomes du comté de Prescott ont laissé leur marque comme professionnels en agriculture par des orientations bien différentes. Le premier, par la forêt Larose pour reconquérir un terrain qui était devenu presque désertique à cause de la destruction massive des grandes forêts de conifères du centre des comtés de Prescott et Russell.
À son opposé, l’agronome successeur de Ferdinand Larose, Laurent Farmer a su inculquer aux propriétaires des terrains agricoles mal drainés, donc peu productifs, du comté de Prescott, l’importance du drainage souterrain et de surface comme outils de gestion essentiel pour les productions annuelles telles que céréales, maïs et soya.
Promotion de la langue française dans l’Est ontarien
Notre récipiendaire du Mérite agricole franco-ontarien 2010 était un homme polyvalent. En plus d’être un vulgarisateur agricole hors pair, ses habiletés analytiques et son acharnement à défendre la langue française étaient bien connus.
Si le milieu agricole a pleinement profité du professionnalisme de M. Farmer, le monde scolaire a aussi bénéficié de ses qualités de visionnaire. En effet, M. Farmer a siégé pendant 20 ans au conseil scolaire de Prescott-Russell, comme commissaire et président. C’était l’époque où les Franco-Ontariens faisaient des pressions pour obtenir des écoles francophones.
Aujourd’hui, si nous avons des écoles répondant aux besoins des Franco-Ontariens, l’on peut dire un gros merci à Laurent Farmer !
Tout en conjuguant ses connaissances dans les secteurs scolaires et agricoles, M. Farmer a été un pionnier pour l’obtention d’un collège d’agriculture francophone qui répondait aux besoins de formation pour la relève agricole franco-ontarienne.
Ce collège qui était demandé depuis plus de 50 ans par les regroupements agricoles, incluant l’Union des cultivateurs franco-ontariens (UCFO), a enfin vu le jour au début des années 80.
Coïncidence ou pas, l’on peut dire que les répercussions bénéfiques de la formation agricole transmise par le Collège d’Alfred ont commencé à être remarquées dans nos communautés francophones qu’après la retraite bien méritée de Laurent Farmer. Il est souvent dit que l’on reconnaît un bâtisseur après son départ.
Un collègue et mentor
Si les communautés rurales de l’Ontario ont bénéficié économiquement du Collège d’Alfred, j’aimerais reconnaître M. Farmer comme un collègue de travail et un mentor pour un grand nombre d’agronomes francophones qui ont ?uvré à la grandeur de la province de l’Ontario.
Le bureau d’agriculture de Plantagenet a été une pépinière de formation d’agronomes qui ont fait carrière dans cette belle profession en Ontario. Je pense ici à Aurèle Brunet, André Demers, Marcel Paulhus, André Lemay, Neil Tarlton, Charles Goubau, à moi-même André Pommainville et combien d’autres agronomes.
Sans prétention, je peux affirmer que l’ensemble de l’industrie agroalimentaire a bénéficié un jour ou l’autre de l’expertise de ce grand bâtisseur. Je suis fier d’avoir succédé à Laurent Farmer comme agronome chef du comté de Prescott.
Implication communautaire
Le petit village de Plantagenet a aussi été comblé par la présence de la famille de Laurent Farmer. En effet, quelques temps après son arrivé comme agronome en 1951, il épousa Micheline Allard le 9 mai 1953.
De cette union sont nés cinq enfants ? Claude, Jean-Pierre, Diane, Michel et Carole.
En plus d’être père de famille et de ses engagements professionnels, il s’implique dans plusieurs mouvements dans sa communauté, tels que la chorale de la paroisse, les Chevaliers de Colomb, le Comité de finance de la paroisse, l’Aide à l’enfance de Prescott-Russell et combien d’autres.
Laurent Farmer est décédé le 7 septembre 2007.
En guise de conclusion, j’aimerais reprendre la philosophie de travail de cet homme, humble et modeste mais tellement affectif. Cette philosophie était de toujours mettre en première place la personne et non pas l’activité.
Tout comme dans la parabole du semeur dans les évangiles, il est dit que si le grain de blé tombe dans un sol fertile, le résultat sera du cent pour un! C’est ce que nous voyons aujourd’hui avec le récipiendaire du Mérite agricole franco-ontarien 2010, M. Laurent Farmer.
Merci pour tout!
André Pommainville est agronome à la retraite, agriculteur et diacre permanent des paroisses d’Alfred et de Lefaivre dans la pointe Est de l’Ontario.