Quelque part sur cette planète, un groupe très sélect d’éleveurs produit un bœuf dont les meilleures coupes se vendent à plus de 300 $ le kilo! Vous avez bien lu : de l’aloyau (T-bone) à 30 $ les 100 grammes!
En décembre dernier, j’ai eu le plaisir de séjourner à Kobe, au Japon. Le nom vous dit quelque chose? Le Kobe Beef, ou bœuf de Kobe, c’est le plus prestigieux de tous, l’ultime produit de niche. Il paraît qu’on le traite aux p’tits oignons, en lui servant de la bière et en le massant avec du saké…
La veille du jour de l’an, j’ai pu savourer un shabu-shabu (une fondue) à la japonaise. Les fines tranches de bœuf étaient persillées comme je n’en avais jamais vues. Trempées quelques secondes dans de l’eau bouillante, le temps de prononcer lentement les syllabes « sha-bu-sha-bu », elles était prêtes à fondre dans ma bouche.
À l’œil, le persillage prononcé du Kobe Beef aurait de quoi rebuter n’importe quel consommateur nord-américain. En bouche, par contre, il est parfait : juteux, tendre, sans sensation de gras, ni effort de mastication.
Aussi savoureux soit-il, ce bœuf n’était pas un véritable Kobe Beef, certification à l’appui. Il n’avait coûté que 12 $ le 100 grammes. Je me suis néanmoins donné la mission d’aller rencontrer le producteur.
Ville voisine d’Osaka, Kobe fait face à la mer et dos aux montagnes. Par un tunnel de deux kilomètres, on accède à une première vallée à l’intérieure. C’est ici, dans la préfecture (l’équivalent d’un grand comté) de Hyogo, que se trouve la maison Yamagaki, qui tient une ferme d’élevage et une boucherie avec comptoir de vente au détail.
La ferme consiste essentiellement de deux longues étables sans murs, abritant 800 taures. Environ 450 d’entre elles sont abattues chaque année, à l’âge de 30 à 32 mois.
« Nous n’élevons que des femelles. Elles sont plus dociles et leur chair est plus tendre », dit Masaki Nakahigashi, le gérant de la ferme.
Les taures sont environ huit par groupe, chaque groupe ayant son propre ventilateur au plafond. Leur ration de moulée est distribuée par un robot semblable à ceux que l’on retrouve sur nos fermes laitières. Elles mangent du maïs, de l’orge, des fèves et de la paille de céréales. Sur la ferme, aucune trace de fourrages.
Toute l’alimentation est importée, principalement de l’Australie, parfois aussi du Canada.
Les terres autour de l’étable autour sont plantées de vignes, qui reçoivent régulièrement le fumier sec des bovins.
Ces vaches reçoivent-elles des massages? « J’ai bien essayé de leur en donner, mais ça n’a aucun effet sur la vache! », répond Masaki en riant.
Et la bière? « Certains l’ont essayée. Il paraît que ça donne faim aux vaches et qu’elles mangent plus. »
Les mythes entourant le Kobe Beef remontent à il y a une trentaine d’années, quand un restaurateur a tourné une vidéo pour faire un coup de publicité. On y voit des ouvriers servant aux vaches de la bière à la bouteille, d’autres en train de les masser frénétiquement.
Dans la réalité, ces bovins sont traités avec la plus grande simplicité. Ils passent leur vie à dormir et à manger. Ils boivent de l’eau de qualité et respirent l’air frais des montagnes. J’ai beau questionner mon hôte, la seule particularité que je décèle est le fait que la ferme possède son propre camion et que c’est le gérant lui-même qui conduit les animaux à l’abattoir, en une heure de route.
La qualité de la viande dépend des bonnes pratiques à la ferme, mais elle est principalement attribuable à la race. Utilisées à l’origine comme bêtes de somme, les purs sangs de race Kurogewagyu (ou Tajima) ont maintenant une réputation mondiale. On les élève aussi aux États-Unis, pour produire un bœuf « Kobe Beef Style. »
Le véritable Kobe Beef n’est pas exporté. Chaque année, environ seulement 3000 carcasses obtiennent le sceau officiel de la Kobe Beef Marketing and Distribution Promotion Association. Les bêtes doivent être nées, élevées et abattues dans la préfecture de Hyogo.
Les veaux sont mis à l’encan à neuf mois, pour être achetés par des finisseurs. Si le bœuf de la maison Yamagaki n’est pas certifié, c’est parce qu’une majorité de ses taures sont nées dans d’autres régions.
« D’autres provinces du Japon produisent d’excellents veaux, affirme Yukujo, l’épouse de Masaki. Notre bœuf est aussi savoureux que celui des fermes qui n’achètent que des veaux de Hyogo. »
Le Kobe Beef certifié, c’est le « Louis Vuitton » des viandes rouges, illustre Yukujo, pour expliquer à quel point il s’agit essentiellement d’une marque de prestige qui permet de vendre à des prix très élevés.
Certifié ou pas, le produit est de la plus haute qualité. Toutes les vaches portent trois étiquettes aux oreilles. À l’aide d’un téléphone cellulaire, on peut consulter leur dossier instantanément. En épicerie, chaque emballage contient un code de traçabilité, que le consommateur peut vérifier sur Internet.
À quand un Kobe Beef ontarien? Des producteurs d’ici pourraient très certainement produire un bœuf de qualité et de goût équivalents, avec l’avantage d’une alimentation 100 % locale. Quant à le vendre au même prix que les Japonais, bonne chance!
Au Japon, la viande rouge ne fait pas partie des traditions alimentaires. Aujourd’hui, le bœuf est disponible en épicerie, mais à un prix élevé. Il bénéficie d’un statut qu’on pourrait comparer à celui que nous accordons au homard : une spécialité réputée, coûteuse et consommée de façon occasionnelle.
Dans un pays riche comme le Japon, où les consommateurs raffolent des grandes marques et ne jurent que par la qualité et la salubrité, personne ne refuserait l’opportunité à mordre à pleine dent dans un steak de réputation mondiale, même à 300 $ le kilo.