le Jeudi 12 décembre 2024
le Vendredi 8 décembre 2017 9:17 Volume 35 Numéro 08 Le 1er décembre 2017

Jean-François Drouin, parcours d’un producteur agricole à qui les défis ne font pas peur

Jean-François Drouin, parcours d’un producteur agricole à qui les défis ne font pas peur
00:00 00:00

Jean-François Drouin a le succès modeste. Ce qu’il fait, dit-il, c’est pour la postérité. Producteur d’œufs en régie biologique et éleveur de dindons, entre autres, il s’était fixé comme objectif de permettre à ses filles d’envisager la carrière de leur choix.

« Je leur avais dit : je vais bâtir une entreprise qui va vous donner la chance de faire ce que vous voulez plus tard. »

Lui pour sa part avait trouvé sa voie : l’agriculture.

Gardien de prison un temps, il n’était pas fait pour cette vie-là. « Ma meilleure journée dans ce temps-là ça ressemble à ma pire journée en agriculture. »

Débuts modestes

Né à Treadwell dans l’Est ontarien, c’est là qu’il a grandi au sein d’une famille de douze enfants et c’est là qu’il s’est établi. Tout en travaillant à l’extérieur, il a commencé dans le métier avec quelques « animaux à bœuf » jusqu’à en avoir 150 têtes. Il fait alors les foins sur 1 000 acres et ne compte pas ses heures. « Il travaillait en malade », commente sa fille Marie-Pier.

Il démarre en production laitière 10 ans plus tard, en 1988. S’ajoutent ensuite les poules en 1994, 12 000 poulettes et 6 000 pondeuses en production conventionnelle.

En 2000, après avoir fait prospérer le troupeau de 45 à 78 vaches en lactation, il cesse la production laitière à cause de son dos. Le médecin lui a prédit le fauteuil roulant. Il se met alors en quête d’un autre projet. C’est en 2005 que commencera la production d’œufs biologiques tout en poursuivant la production conventionnelle.

« On cherchait un marché de niche.  Quand on a commencé dans le bio, personne ne voulait le faire.»

À l’époque, ce type d’élevage est marginal. À sa connaissance, il n’y avait que deux autres producteurs au Québec. Il les a visités ainsi que d’autres fermes en Hollande et en Pennsylvanie.

Même si plusieurs le vouent à la faillite, il fait confiance à son instinct. Sa fille Marie-Pier se joindra à l’aventure.

« Vers l’âge de 20 ans, je suis revenue à la ferme temps plein. J’ai fait un baccalauréat général avec une spécialité en psychologie et mon père m’encourageait à étudier. Il voulait que je sois certaine,  si je revenais, de le faire pour les bonnes raisons. J’aimais beaucoup travailler avec la terre, la nature et les animaux et comme j’ai grandi dans le milieu je sentais que j’étais dans ma branche », raconte-t-elle.

Sa sœur Véronik a pour sa part étudié en Techniques de soins vétérinaires. Elle aussi a aidé sur la ferme, tout comme sa mère, Guylaine Joly-Drouin, que son mari qualifie comme le cœur de l’entreprise. Rien de tout cela n’aurait été possible sans elle, dit-il. Leur entreprise se nomme d’ailleurs Ferme Joly-Drouin et Filles.

Et « cela », c’est entre autres quatre poulaillers qui logent 16 000 pondeuses chacun. Construits en 2005, 2007, 2015 et 2016 sur la Concession 9 à Plantagenet, ils répondent aux normes de l’élevage biologique. Chacun d’eux possède une cour clôturée pour permettre aux poules de sortir lorsque la température est adéquate et qu’il n’y a pas d’avis d’interdiction émis par le ministère de l’Agriculture lors de risques de contagion de la grippe aviaire, notamment. De plus, le toit de chacun des poulaillers de 70 pi de largeur par 440 pi de long est recouvert de panneaux solaires. L’été dernier, un nouveau bâtiment a été construit à l’avant et loge le bureau, une salle d’exercices pour les employés et une salle de conférence.

Les poules en production conventionnelle se trouvent sur un autre site.  Leur nombre atteint aujourd’hui près de 45 000 pondeuses qui seront d’ailleurs bientôt logées selon les normes de l’élevage en liberté. Les dindes sont en partie sur ce site également. Là où il n’y avait que deux poulaillers en 1994, s’en trouvent maintenant quatre et la construction d’un cinquième est prévue pour 2018. Un autre poulailler de dindons a été acheté récemment.

Histoire de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, l’entreprise a opté pour l’élevage de la dinde en 2012, entre autres parce que le quota était relativement accessible. Il a gagné en popularité depuis et cela se traduit par une hausse du prix, mais cela demeure raisonnable de l’avis de M. Drouin. Le quota de 300 000 kg a été triplé et s’élève maintenant à 900 000 kg.

« On voulait élargir nos horizons », soutient Marie-Pier en précisant que l’an prochain, ils auront quatre bâtiments pour la dinde alors qu’il y a un mois encore, il n’en avait qu’un.

Il y a aussi les grandes cultures, soya, maïs et blé en rotation, qui s’étendent sur 1 700 acres de terre. Cela avait commencé avec l’acquisition de 300 acres en 2005, nombre qui s’élève à un peu plus de 2000 en 2017. Bien que les semences et les récoltes soient données en sous-traitance, cela n’empêche pas M. Drouin de mettre la main à la pâte.

« Mon père adore travailler dans les champs.»

Jean-François Drouin acquiesce en indiquant qu’il faudra bientôt engager un gérant ou une gérante pour assister Marie-Pier dans ses nombreuses tâches.

Les employés sont d’ailleurs très importants à ses yeux.

« L’entreprise repose sur les employés et non sur l’employeur. C’est la force de l’entreprise», dit-il en mentionnant Gilles Labre qui a 28 ans de service. « Il aura toujours sa place ici ».  Il parle aussi de Bryan Demers pour qui ça fait déjà plus de 20 ans et qui est comme son deuxième père, sans compter Jean-Marc Guilbault qui en est à sa septième année, Valérie Charbonneau ainsi que les frères Jonathan et Pierre Laflèche qui eux, y sont depuis environ quatre ans, pour ne nommer que les plus anciens.

La relève

Marie-Pier se réjouit particulièrement du succès remporté dans l’élevage biologique. Les débuts n’ont pas été de tout repos et il y a eu beaucoup d’ajustements et d’apprentissage à faire. Avec tout son bagage, elle est prête à prendre le flambeau et son père lui délègue une bonne part des responsabilités. Elle participe régulièrement à des ateliers et des conférences, pour se tenir informer et participe volontiers à des tables rondes. Avec trois enfants, Caleb (10 ans), Émilie (6 ans), et Audrey (4 ans), son emploi du temps est pour le moins que l’on puisse dire, bien rempli. Qui sait, dit-elle, il y en aura peut-être un des trois qui voudra se tourner vers l’agriculture, d’autant que son mari, Thierry Blum, est lui aussi dans le domaine avec sa propre entreprise de travaux à forfait et de déneigement.

Jean-François Drouin n’est pas prêt à prendre sa retraite, mais le jour venu, il sait qu’il n’aura pas à s’inquiéter. Il aura en tout cas, la satisfaction d’avoir accompli son rêve.

« L’agriculture c’est le don d’une vie.  C’est une passion. Il n’y a pas de congés de maladie et pas de plan de pension. Oh, attention, je ne dis pas qu’on fait pitié, mais c’est ça la réalité », dit-il en racontant des anecdotes sur des moments où il s’est retrouvé à ramasser les œufs alors qu’il n’était pas du tout en condition. Mais, devoir oblige et en cela il a toujours donné l’exemple. L’agriculture, c’est sa nature.