Rencontre avec Ron Bonnett, président de la Fédération canadienne de l’agriculture
Enfin l’agriculture et l’alimentation deviennent un sujet d’avant plan sur la scène mondiale. Il aura fallu des catastrophes climatiques et une crise économique mondiale pour faire réaliser aux grands de ce monde que nos systèmes agricoles et agro-alimentaires fonctionnent moins bien que l’on pensait et qu’on pourrait en perdre le contrôle, ce qui commence à créer de nombreuses et graves perturbations sur le plan social et politique dans le monde.
Pour approfondir cette question et en saisir les implications Agricom nous propose une réflexion avec M. Ron Bonnett, président de la Fédération canadienne d’agriculture.
Agricom : M. Bonnett, que pensez-vous de la crise alimentaire dans le monde qui contribue à déclencher présentement des soulèvements populaires dans plusieurs pays?
Ron Bonnett : C’est un sérieux avertissement à nos dirigeants. Il est trop facile de penser que c’est une conjoncture temporaire d’accidents climatiques. En 2011, la population humaine mondiale atteindra le chiffre de 7 milliard d’habitants mais la terre peut nourrir tout ce monde et même plus. Il faudra cependant miser sur de nouvelles technologies, de nouvelles pratiques agricoles mais surtout sur des changements majeurs de nos politiques agricoles qui auront pour effet de mieux rémunérer les producteurs agricoles.
Agricom : Que voulez-vous dire par de « changements majeurs de politiques agricoles » ?
Ron Bonnett : Ce qu’il faut d’abord c’est une révolution globale dans notre façon de penser et de gérer nos systèmes de production agricole et alimentaire. Au départ, il faut accepter le concept que les denrées agricoles ne sont pas des biens comme les autres tels les métaux ou le pétrole par exemple. Tout comme l’eau, les aliments sont les seuls biens qui sont absolument essentiels à la vie sur une base quotidienne et à partir de ce principe, il faut maintenant accepter que les règles du marché pour le secteur agro-alimentaire doivent être différentes de celles qui gouvernent les autres secteurs économiques.
Agricom : Et à quoi pourraient ressembler ces règles différentes ?
Ron Bonnett : Lorsqu’on analyse l’histoire, on s’aperçoit que de tout temps on a exploité les milieux ruraux, les paysans et les agriculteurs pour tenter d’amener la prospérité dans les milieux urbains. On en voit les conséquences en Inde par exemple ou les paysans ont abandonné leurs terres pour grossir les rangs des affamés dans les bidon villes. Il faut renverser cette vieille approche et augmenter sensiblement la rémunération des paysans et des agriculteurs de façon à les inviter à rester sur leur terre et à produire plus. On aura beau avoir les meilleurs technologies agronomiques au monde si les agriculteurs ne peuvent vivre honorablement de leur métier ils quitteront leurs terres. Même au Canada, on parle de manque de relève agricole. Cependant, ceci veut dire inévitablement une hausse généralisée des prix des aliments.
Agricom : Oui, mais de nombreux consommateurs dans le monde et même au Canada n’ont pas les moyens d’absorber des hausses soudaines des prix !
Ron Bonnett : Le mot clé dans votre question est le mot « soudaines ». Le problème n’est pas une hausse honnête et progressive des prix pour mieux rémunérer nos agriculteurs. Le problème c’est la volatilité des marchés qui résulte de nombreux facteurs. Les caprices du climat sont un facteur important mais la spéculation grandissante sur les denrées alimentaires sont aussi une cause importante de cette volatilité.
Ce qu’il faut maintenant c’est de travailler à éliminer cette volatilité et à introduire dans nos systèmes agroalimentaires des conditions et un environnement qui créeront une certaine stabilité dans les prix des aliments. C’est ainsi que les producteurs et les consommateurs y trouveront leur compte.
Agricom : Oui, mais c’est plus facile à dire qu’à faire !
Ron Bonnett : C’est possible si tous les acteurs de la chaîne alimentaire, les gouvernements et les organismes agricoles décident d’y travailler ensemble. Nous à la Fédération canadienne de l’agriculture nous travaillons présentement à développer une « Stratégie nationale de l’agroalimentaire ». Le but c’est d’amener tous les acteurs, producteurs, manufacturiers, détaillants, etc., à développer une chaîne de valeur efficace et stable ou chacun y trouverait un profit honnête. Tous y gagneraient, y compris les consommateurs. Il est vrai que ceux-ci recherchent des bas prix mais à plus long terme ils veulent surtout des prix stables.
Agricom : Et les gouvernements dans tout ça, doit-on s’attendre à ce qu’ils subventionnent plus fortement l’agriculture ?
Ron Bonnett : À prime abord, on serait tenté de répondre oui à cette question, mais je pense qu’en bout de ligne les agriculteurs doivent tirer leur juste profit de la vente de leurs produits. Les gouvernements on cependant des rôles important à jouer dont celui de créer et de soutenir des outils de gestion du risque en cas de catastrophe ou de crises. Un exemple concret est les assurances récoltes. Ce sont ces types d’instruments qui amènent la stabilité dans le secteur.
Agricom : Et les agriculteurs dans tout ça, que peuvent-ils faire à part produire ?
Ron Bonnett : Les agriculteurs ont tout avantage à bien s’occuper du côté affaires de leur entreprise et dans le passé, ils ont en des succès collectifs remarquables dans plusieurs pays. Au Canada, nous avons nos systèmes de gestion de l’offre par exemple qui servent bien à la fois, nos agriculteurs et nos consommateurs en mettant sur le marché des produits de grande qualité à des prix très abordables et extrêmement stables. Nous avons aussi de très beaux succès dans le domaine des coopératives d’intrants agricoles et des coopératives de mise en marché. Les organisations d’agriculteurs au Canada font aussi l’envie de plusieurs pays et elles doivent continuer à prendre leurs places dans l’élaboration des politiques agricoles et agroalimentaire.
Dans un deuxième article dans notre prochain numéro nous poursuivrons cette réflexion mais en mettant l’accent sur la situation canadienne.