« On ne veut pas reproduire l’agriculture du sud, mais profiter des conditions dans la Grande enclave argileuse du nord de l’Ontario et du Québec », indique Carole Lafrenière à la veille de sa retraite. Docteure en agriculture, Mme Lafrenière a fait de la recherche à la ferme expérimentale de Kapuskasing de 1987 à sa fermeture en mars 2014. Aujourd’hui, elle poursuit son engagement à L’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue.
Préoccupée par le transfert de la connaissance sur le terrain, Mme Lafrenière a cherché ce qui peut être fait pour avoir la meilleure nourriture pour les animaux. « L’enjeu était de démontrer qu’on est capable de produire des plantes fourragères de qualité dans le Nord; comment les servir aux veaux d’embouche, aux vaches laitières et aux moutons et comment les conserver. » Les plantes fourragères ont été étudiées du côté microbiologique et biochimique. Quant à leur conservation, la thèse de doctorat de Mme Lafrenière a porté sur les facteurs qui favorisent la qualité de l’ensilage du fourrage. Elle pouvait profiter du meilleur des deux mondes pour ses recherches avec la ferme de Kapuskasing dans le nord et la station de recherche de New Liskeard plus au sud.
Depuis, elle s’intéresse aux pâturages. « C’est le nerf de la guerre », dit-elle. Elle a œuvré à déterminer les meilleurs mélanges de graminées et de légumineuses dans les champs pour identifier la combinaison qui permet de tirer le maximum de chaque plante. Lequel de ces mélanges complexes permet d’allonger la saison des animaux au pâturage? Comment évoluent ces mélanges dans le temps? Comment réintroduire les légumineuses sans que cela ne coûte trop cher? Voilà autant de sujets de recherches qui ont fait la réputation de Mme Lafrenière.
Son expertise lui a permis de mettre sur pied un micro- programme de deuxième cycle en agriculture fourragère. Cette formation se donne sur Internet à partir du campus de la faculté d’agriculture de L’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue à Notre Dame du Nord. « Dans chaque cohorte, nous avons des Franco-Ontariens et la formation se donnera aussi en anglais sous peu », ajoute la chercheuse avec un brin de fierté pour cette réalisation remarquable.
Pour ce qui est de l’avenir de l’agriculture dans la Grande enclave argileuse dans le nord des deux provinces, Mme Lafrenière est optimiste. « Le démarrage, ça s’en vient. Il y a des choses que des gens d’ailleurs voient et qui nous échappent parce qu’on a le nez dedans. Certains groupes ont déjà commencé à s’installer et il y en aura d’autres. Il y a le prix des terres qui attire, mais il y a aussi l’eau. Avec les changements climatiques, il y aura des pénuries d’eau dans certaines régions, mais nous continuerons à en avoir ici. Le développement ne se fera peut-être pas comme on le pense; il faut s’y attendre. »
Cet intérêt de gens de l’extérieur pour le Nord a été manifeste lors du deuxième symposium sur l’industrie du bœuf dans le Nord coorganisé par Mme Lafrenière pour le Québec et Barry Potter pour l’Ontario. Des gens de plusieurs régions des deux provinces étaient présents. Même un groupe de l’Alberta a suivi la conférence via l’électronique.
À l’aube de sa retraite, Mme Lafrenière souhaite que le monde agricole puisse se donner les outils nécessaires à son développement. Elle plaide pour une agriculture diversifiée et des modes de cultures qui préservent la santé des sols. Son regret : « Ce que je trouve difficile c’est la campagne pour arrêter de manger de la viande sous le prétexte que ça détruit la planète », se désole-t-elle alors qu’elle est si dévouée à cet élevage. Malgré tout, la demande mondiale pour le bœuf augmente et notre situation par rapport à l’Europe est enviable. « On est choyé », se console-t-elle. Il est à parier que pour une telle personne, la retraite sera un mythe!