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le Vendredi 10 août 2018 19:56 Volume 35 Numéro 19 Le 8 juin 2018

Le marché bio au cœur d’importantes transformations

Le marché bio au cœur d’importantes transformations
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Par Isabelle Lessard – collaboratriceEntrevue avec Tom Manley, ex-président du Organic Council of Ontario et propriétaire de l’entreprise Homestead Organic jusqu’en avril 2018, date à laquelle il a été contraint de fermer boutique pour cause de faillite. Il fait partie de ces pionniers qui, au lendemain du trentième anniversaire d’existence de son entreprise, ont dû mettre la clé sous la porte en raison de la transformation importante que vit le marché biologique. Comment qualifierais-tu la transformation du marché que tu as pu observer au cours des années ?

Le marché s’est progressivement généralisé, surtout au cours des deux dernières années. La plupart des grosses compagnies agroalimentaires, de moulées, de semences, ont commencé à desservir le marché biologique. Or, les compagnies qui étaient spécialisées dans le bio, qui ont développé le marché et qui ont encouru des dettes, des risques et des coûts de développement n’arrivent plus maintenant à compétitionner.

Nous ne sommes pas seuls dans cette situation dans la province. Ontario Natural Food Cooperative a été vendue à une firme de l’Ouest canadien. Quoique toujours en affaires, ce n’est plus une coop puisqu’elle faisait face à des problèmes financiers. Organic Meadow, une coopérative agricole a fait faillite il y a quelques années. Elle a vécu comme nous une expansion rapide et une compétition féroce.

Ces pionniers qui ont développé le marché et qui ont encouru les frais de développement du marché et les coûts d’expansion font face à des compétiteurs qui ont déjà des structures agroalimentaires et des capacités de production que le marché bio n’arrive pas à accoter.

Y a-t-il encore un avenir en production biologique en Ontario ?

Absolument. Le bio n’est pas prêt de disparaître, mais les joueurs changent. Les pionniers se font remplacer par des entreprises d’envergure.

Quels seront les plus grands obstacles des producteurs biologiques dans les années à venir ?

La dépréciation des prix à la ferme. Lorsque j’ai pris la relève de mon père il y a vingt ans, on payait le maïs biologique entre 200 et 250 $/t. Le marché était petit et il n’y avait pas encore beaucoup de demande. Au cours des cinq dernières années, la valeur du maïs a grimpé à 450 à 500 $/t à la ferme. Le prix a donc doublé depuis vingt ans et c’est grâce à un marché croissant et une offre limitée. À l’heure actuelle cependant, cette offre restreinte se trouve dorénavant comblée par des importations majeures et également par une conversion de centaines, voire de milliers d’acres de culture conventionnelle en culture biologique par des producteurs d’envergure. Alors à mesure que l’offre augmente, les prix baissent [et les producteurs locaux tirent moins de revenus pour leur grain].

D’ailleurs les pays de l’Asie et de l’Europe de l’Est s’intéressent au marché bio. La croissance de la demande en Amérique du Nord est prometteuse pour ces pays où les terres ne coûtent pas aussi cher qu’ici et où la main d’œuvre est plus abordable. Ils investissent donc dans le secteur bio pour l’exportation vers l’Amérique du Nord et l’Europe. La compétition est forte pour nos producteurs canadiens.

Ce phénomène est cependant moins marqué dans l’élevage que dans les grandes cultures, les fruits et les légumes.

Comment se portent la production et l’élevage biologiques dans la région de l’Est ontarien ?

Bien. Il faut dire que la région est un mixte de petites et de grandes entreprises agricoles, donc des productions artisanales, c’est-à-dire de basses-cours, et des productions commerciales. Le nombre de marchés de producteurs extérieurs est en croissance autour d’Ottawa et bon nombre des kiosques sont biologiques, donc je suis bien content de constater cela.

D’ailleurs la production d’œufs bio a crû grâce à la présence de deux gros producteurs, et la production de lait se porte bien. Je constate l’absence de producteurs commerciaux de poulets bio, mais le changement de réglementation des Chicken Farmers of Ontario a favorisé la production artisanale de volailles.

En ce qui concerne les grandes cultures, il manque cependant de volume. Homestead Organic était l’acheteur principal de grain bio dans l’Est ontarien, mais mon marché dépassait l’offre et j’étais contraint à en importer du Québec, de l’Ontario, des Maritimes et de l’extérieur du Canada pour combler les besoins régionaux.

Qu’est-ce qui explique que les producteurs de grandes cultures ne se convertissent pas au bio alors qu’il y a une forte demande ?

De façon générale, la production biologique est risquée. Il n’y a pas d’appui formel ou de formation en expertise financière, contrairement au Québec où la structure est complètement différente. Malheureusement le gouvernement de l’Ontario n’investit pas dans la promotion et l’éducation [auprès des producteurs]. Et c’est dommage parce que le marché est disponible. Donc face aux risques, à une possible baisse de la production et à la transition de trois ans durant laquelle le producteur ne peut pas profiter des prix [plus avantageux] du biologique, cela fait peur aux gens. Et il faut dire que la production conventionnelle est rentable et tant que ce sera le cas, les producteurs n’auront pas d’incitatif à faire la transition, à moins d’avoir une conviction personnelle en faveur du biologique.

Est-ce justement ce qui motivait ta persévérance ?

Effectivement, les pionniers du secteur bio, dont mon père et moi faisons partie, sont là en raison de valeurs personnelles, pour l’économie locale, pour la réduction des intrants agricoles, et des valeurs écologiques.

De quoi es-tu le plus fier de ce que tu as réalisé pendant ta carrière ?

Quand j’ai pris la relève de mon père en 1997, j’avais établi comme mission d’entreprise de développer et de servir l’agriculture biologique. Bon nombre de producteurs et de transformateurs dans la région ont vu le jour grâce à nos efforts et on se distinguait de nos compétiteurs par cette mission et nous en sommes fiers. Malheureusement, ça ne suffisait pas à payer toutes les factures.