Les vieux bâtiments de ferme font partie du paysage. Quel beau décor pour nos cartes de souhaits de Noël ou nos balades sur les routes de campagne! Elles évoquent la vie agricole d’une époque où de grandes familles y élevaient vaches, cochons et poules, en plus de cultiver les champs et un grand jardin.
Ces liens familiaux étroits ont forgé de nombreux souvenirs. Souvent, la famille a vendu la terre et les enfants se sont dispersés. La vieille grange tient encore debout, dernier témoin d’un passé qui ne veut pas s’effacer.
Pour moi, il est important d’apprendre à nos trois filles de respecter les anciens agriculteurs qui ont animé ces lieux avant nous. Ils étaient aussi passionnés que nous.
Un jour, une dame m’a raconté sa grande tristesse d’avoir vu disparaître soudainement les bâtiments de l’ancienne ferme familiale, sans aucun avis de la part des nouveaux propriétaires.
Cette tristesse m’a marquée à jamais. Je me suis alors promise que si nous en venions à devoir démolir des bâtiments, nous en informerions au préalable les anciens propriétaires.
Démanteler
Notre entreprise de grandes cultures a beaucoup grandi au fil des années. Les terres que nous achetons comptent souvent une maison, que nous pouvons détacher du terrain principal, pour la revendre.
Les bâtiments agricoles qui restent peuvent servir à entreposer de la machinerie. D’autres sont trop petits ou trop mal en point. Vient le jour où ils menacent de s’effondrer. Notre assureur exige que les risques de blessures et de dommages soient éliminés.
Le fameux derecho de mai 2022 n’a pas fait de cadeau à notre patrimoine agricole. Plusieurs bâtiments âgés se sont effondrés.
Chaque fois qu’on doit procéder au démantèlement d’un vieux bâtiment de ferme, le souvenir de cette dame me revient à l’esprit. Pas question de juste y mettre le feu, oh que non!
Tout ce vieux bois a des traits tellement évocateurs. Les planches de l’extérieur sont d’un gris qui par le vent et les températures changeantes au fil des saisons finit par ressembler à une peau d’éléphant.
Le bois de l’intérieur est parfois d’un rouge vin ou même encore d’un ton naturel. Puis il y a les clous de forge carrés, ou les clous ronds en bois! Et ces échelles clouées au mur pour se rendre en haut à l’endroit que l’on nommait la batterie et où il y avait la plupart du temps de la paille et du foin d’entreposés.
Que dire des grosses cordes enroulées autour des poutres, des fers à cheval cloués aux murs! Des crochets de fer, des portes avec des pentures toutes différentes l’une de l’autre! Dans ces coups de hache qu’on peut observer sur les poutres, il y a la marque de ceux qui ont érigé la grange à la sueur de leur front!
Faire le deuil
Nous maintenons toujours de bonnes relations avec les anciens propriétaires. Nous leur parlons des étapes qui ont mené à la décision de démanteler les bâtiments. Nous leur donnons la chance de revenir visiter les lieux une dernière fois.
À ces familles qui ont vu plusieurs générations travailler dans ces bâtiments, nous donnons le premier choix. Qu’ils prennent tout le bois qu’ils veulent!
J’ai vu des familles revenir faire le tour pour faire la paix avec des chapitres de leur vie. Plusieurs nous ont raconté des histoires fascinantes. Il y aurait de quoi écrire un bon livre!
Recycler, notre priorité!
Le moment venu, nous signons un contrat avec une entreprise spécialisée en revalorisation du bois de grange. Ce patrimoine connaîtra une seconde vie, sous forme d’éléments de décoration intérieure, de luminaires ou de meubles.
Pour chaque bâtiment que nous avons fait démanteler, j’ai conservé quelques morceaux que j’ai utilisés avec créativité. Des cabanes pour hirondelles, des enseignes, des cadres de photos, des ornements de sapins de Noël, des boîtes à cadeaux, des cadres de fenêtres transformés en miroirs…
Il y a un silence solennel qui entoure ces bâtiments qui étaient autrefois le centre de l’activité agricole familiale. Je me suis souvent surprise à m’imaginer les familles dans leur quotidien. Inévitablement, je me suis demandée : si cette grange pouvait me parler, quelles seraient ses histoires?
Sandra Clément est productrice de grandes cultures à Embrun, dans l’Est ontarien. Elle est aussi membre du conseil d’administration de l’UCFO et membre fondatrice du Réseau des femmes en agriculture de l’Est ontarien.