Imaginer une vache en stabulation entravée toute sa vie, et en particulier une vache qui doit demeurer attachée lors du vêlage, peut parfois être mal perçue par la population. Mais cela sera chose du passé bientôt, puisque les fermiers devront se conformer d’ici le 1er avril 2028 à de nouvelles règles d’élevage.
C’est le 31 mars 2023 qu’a été déposé le très attendu rapport rédigé par le Conseil national pour les soins aux animaux d’élevage. En effet, ce Code de pratiques pour le soin et la manipulation des bovins laitiers du Canada, une référence pour les fermiers canadiens et dont la dernière mouture date de 2009, s’est vu modifié. Le code a été révisé à l’issue de plusieurs mois de consultations et de réflexions auxquelles ont participé autant des producteurs laitiers, des consommateurs que des défenseurs du bien-être animal.
Plusieurs changements devront être apportés dans les fermes qui ne répondent pas aux exigences, mais des périodes de grâce sont accordées selon les changements attendus. Par exemple, en se basant sur l’évolution des données scientifiques concernant le bien-être animal ainsi que sur l’acceptabilité sociale, dont on ne peut faire fi, ce nouveau code fournit des instructions particulières sur le vêlage des vaches laitières.
Plus d’espace pour mettre bas
En effet, les bêtes devront obligatoirement pouvoir mettre bas dans des enclos de vêlage où elles trouveront suffisamment d’espace pour bouger et où elles ne seront plus attachées. Pour nombre de défenseurs des droits des animaux, la pratique de vêlage telle qu’elle se fait encore souvent est cruelle et dépassée. Marc-Antoine Racine, de la ferme Racine à Casselman en Ontario, est d’accord avec cette mesure qu’il met déjà en pratique dans son établissement. «C’est assez humain de se dire que la vache a le droit de se promener, un vêlage, c’est quand même un accouchement! Tu veux que ta vache soit le plus confortable possible».
Par contre, il affirme que malgré les apparences, il vaut mieux retirer rapidement le veau à sa mère, même si certaines personnes souhaiteraient le contraire. «La vache, ça n’a pas l’instinct maternel comme un chat ou un chien. On sait tous que si on laisse le veau avec sa mère, automatique la vache pile dessus.» Et s’il est vrai que les veaux, qui devront être mis en groupe rapidement, se sentent moins seuls de cette manière, ça demeure un «couteau à double tranchant, car dès que tu en as un qui tombe malade, ils sont tous malades».
Des conséquences pour les plus petites fermes
Il se trouve peu de voix qui ne reconnaissent pas l’importance du bien-être animal et l’amélioration des conditions de vie de leurs vaches selon les Producteurs laitiers du Canada. Par contre, la transition, le changement de pratique et les modifications dans l’environnement des vaches entraineront des frais. Pour les plus petits éleveurs, ces coûts sont plus difficiles à absorber.
À la ferme Racine, à la suite d’un important incendie en 2008, la famille a anticipé les changements à venir et a reconstruit en ajoutant des espaces de vêlages, qu’il appelle sa «section hôpital». Mais il pense à certains fermiers qui ont des infrastructures moins modernes. «Ça va faire mal aux petites fermes» qui devront réaménager leurs installations.
Le Conseil national pour les soins aux animaux d’élevage reconnait cette préoccupation et accorde un délai de carence aux producteurs qui doivent s’ajuster. Il est mentionné dans la section 2.3.1 du rapport final que «la période de transition d’ici à ce que tous les vêlages se fassent dans des enclos de maternité en stabulation libre, des cours ou des pâturages est passée de 5 à 6 ans. Ce changement a été apporté en raison de la complexité et des coûts d’un tel changement dans certaines fermes.»
Des éleveurs de vaches laitières qui collaborent
Les recommandations qui sont faites dans ce rapport ont été élaborées avec l’aide des producteurs aussi afin d’en améliorer l’adhésion. De l’avis de Nicholas Dessaint de la ferme Dessaint à Sarsfield, de nombreux producteurs laitiers ont déjà instauré ce genre de mesure, volontairement, parce qu’ils se soucient du confort de leurs bêtes. Mais l’insérer dans un code de conduite «permet de s’assurer que tous les producteurs prennent bien soin des animaux et que le public ait la confirmation que ces pratiques sont respectées».
Mais la question de la perception du public est tout de même centrale, comme le reconnaît M. Racine. Parce que oui, comme il le dit, «le consommateur se sent moins coupable de manger la viande s’il sait que la vache a vécu dehors en “liberté” et a vécu une belle vie». Mais une vache dehors a aussi plus de risques de blessures. Elle peut attraper un coup de soleil, elle peut se blesser, elle souffre plus souvent de maladies de pied car son environnement est moins bien contrôlé. Alors que les vaches à l’intérieur vivent dans un environnement plus contrôlé, sont généralement mieux soignées et plus «poupounées». Il y a un revers à la médaille que le consommateur moyen ne connaît pas nécessairement.
Quoi qu’il en soit, les changements apportés au Code de pratique et son implantation par étapes entreront en vigueur le 1er avril 2024. Les contrevenants pourraient se voir imposer des sanctions administratives de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) qui applique les lois gouvernementales. Alors malgré le travail et les investissements à faire pour certains, aussi bien s’y atteler. Nos vaches s’en porteront mieux et notre lait n’en sera que plus agréable à boire.