La protection et l’épanouissement de la langue et de la culture canadienne-française en Ontario passent souvent par des coups d’audace de simples citoyens qui ont à cœur cet héritage.
C’est le cas du journal Agricom, un journal francophone agricole authentiquement franco-ontarien qui fête son 40e anniversaire. Qui l’aurait cru lorsque deux jeunes demoiselles d’Alexandria, Suzanne Massie et Chantal Périard, réalisaient une douce folie de jeunesse en lançant le premier numéro le 15 août 1983? En quelques mois seulement, ce périodique alors mensuel a conquis les cœurs d’un vaste lectorat d’agriculteurs et de résidents ruraux francophones de l’Est ontarien.
C’était évident, le journal répondait à un grand besoin en Ontario français. Soulignons ici en passant que le personnel enseignant du collège Alfred a contribué de façon magistrale au développement du journal au cours de ses premières années de publication. Au fil des ans, le collège et Agricom se sont avérés des outils complémentaires qui ont travaillé en parfaite synergie à l’épanouissement socioculturel et économique de l’agriculture en Ontario français. Mais revenons aux débuts d’Agricom.
Quelques mois après sa fondation, le financement du journal s’avère fragile et les deux copropriétaires décident de retourner aux études à temps plein.
Agricom est voué à la disparition à très court terme. C’est alors que l’Union des cultivateurs franco-ontariens (UCFO), un organisme fondé en 1929, mais qui à ce moment précis peinait à renaître de ses cendres, porte un grand coup d’audace en achetant tous les actifs du journal naissant et en s’engageant à en assurer la production.
Il a donc fallu tout apprendre sur le tas, mais le sens du risque calculé des agriculteurs membres du C.A. et leur connaissance du milieu professionnel agricole a assuré la survie du journal lors de ces premières années extrêmement difficiles, et ce, sans manquer une seule édition. Plusieurs auraient souhaité un produit bilingue, du moins pour les publicités, mais il n’était pas question de trahir la mission de l’UCFO qui était de valoriser la francophonie à travers le milieu agricole ontarien.
En novembre 1985, le vent tourne. Grâce à de généreux octrois fédéraux destinés à la création d’emplois, Agricom se bâtit une jeune équipe professionnelle et se dote d’outils à la fine pointe.
Le journal est maintenant un média et un instrument de lobby très respecté, qui ne laisse personne indifférent. Il devint un outil de combat pour revendiquer des droits et de justes avantages particuliers pour les agriculteurs franco-ontariens. À deux reprises en 1993 et 1998, il devient, sous la gouverne de l’UCFO, le navire amiral de la francophonie ontarienne pour éviter de justesse la fermeture du Collège d’Alfred. À coup de grands titres et d’éditoriaux, il mobilise les agriculteurs et les agricultrices pour dénoncer ces fermetures et faire reculer le gouvernement, avec succès.
Puis en 1993, il devient un outil capital pour permettre à l’UCFO de trouver la place qu’elle a choisie dans le cadre de la Loi de 1993 sur l’inscription des entreprises agricoles et le financement des organismes agricoles. Toute une section de cette loi et des règlements traitent des droits et du statut particulier d’un organisme agricole francophone.
L’année 2013 est chargée en émotions pour les employés et collaborateurs du journal. L’Agricom remporte les plus grands honneurs lors du gala d’excellence de l’Association de la presse francophone, le 12 juillet à Whitehorse, au Yukon. La publication agricole ontarienne a reçu le prestigieux titre de journal de l’année 2012, en plus de recevoir trois autres prix d’excellence : meilleure qualité du français, meilleur cahier spécial, pour le dossier de sept pages intitulé La ferme intelligente sur les nouvelles technologies à la ferme, et meilleure couverture d’un événement pour l’article Des terres agricoles à hauts risques de contamination de la rédactrice en chef, Isabelle Lessard.
Depuis 2013, Agricom s’autofinance en parti grâce au soutien du financement du gouvernement, et l’UCFO peut maintenant élargir son champ d’action et consacrer plus de ressources à l’ensemble de sa mission.
Agricom poursuit sa mission de tous les jours qui est de fournir aux agriculteurs franco-ontariens une information professionnelle agricole de qualité dans leur langue. Entre autres, il souligne et valorise les efforts et les réussites des agriculteurs francophones qui osent revendiquer leurs droits d’être informés et d’exercer leur métier dans la langue de Molière.
Les difficultés ne sont toutefois pas terminées. Avec Meta qui bloque les nouvelles canadiennes, Agricom ne peut compter que sur son infolettre hebdomadaire pour rejoindre ses lecteurs. Le journal a dû s’actualiser en passant d’une version papier à une version Web et infolettre pour s’arrimer à l’ère du temps et de la modernisation afin de tenter de pérenniser Agricom.
Les agriculteurs qui ont eu l’audace de prendre en main Agricom en 1984 avaient en tête une mission claire et après 40 ans, on peut dire mission réussie, mais non mission accomplie, car le travail ne sera jamais terminé.